Bonjour,
Vos réactions devant ce genre de dessin sont très intéressantes et alimentent chez moi une réflexion qui me travaille depuis une bonne quinzaine d'année, en fait depuis que j'ai trouvé des plans de projets non construits -je les appelle des Never-were- et que je les ai confrontés aux plans de projets publiés depuis les années 30 -que j'appelle pour les distinguer des "What-if".
En 2004 j'avais eu une très longue conversation à ce sujet avec Robert Dumas. Nous venions "d'exhumer" au CAA les plans de chantier de la Gascogne et du De Grasse. Robert avait écrit son livre sur le Jean Bart avec un appendice sur la Gascogne vingt ans avant et n'avait pas connaissance de ces plans à l'époque. Il m'avait détaillé ses longues recherches pour trier ce qui était issu de vrais plans des autres dessins plus ou moins fantaisistes qui contaminent les publications (y compris sérieuses comme le Jane's) depuis les années 30. Il m'avait même cité le nom (je l'ai oublié) d'un auteur connu et respecté qui n'hésitait pas à inventer des éléments sur ses dessins. Dessins qui sont copiés et repris de publication en publication depuis, ce qui a pour effet de leur donner une légitimité.
Robert m'avait cité plusieurs motivations dans la création de ces dessins :
- Le projet d'origine n'est qu'un vague schéma montrant juste l'implantation de l'armement et le dessinateur doit broder dessus en ajoutant des éléments inventés ou récupérés sur des navires contemporains. Exemple : les dessins des croiseurs "Saint Louis" et des cuirassés "Alsace" de 1940
- Le projet tire sa source d'un vrai projet conçu à l'époque pour décrocher une commande. Là, on n'est plus dans la construction navale mais dans la politique : si l'amiral-qui-va-prendre-la-décision aime les gros canons, on va lui mettre des gros canons. J'exagère à peine, mais je vois dans cette catégorie la plupart des PA hybrides (avec gros canons) depuis environ 1938. A l'époque, l'effet destructeur du souffle des tourelles de 203 à bord des PA de la classe Lexington posait déjà un problème à l'US Navy depuis une dizaine d'années et les autres marines le savaient très certainement. L'exemple extrême de cette dérive, d'après Dumas toujours, est le projet délirant de conversion du Jean Bart en PA hybride. D'après lui "projet conçu pour démontrer que ce n'était pas faisable" par les ingénieurs et amiraux qui s'accrochaient à leur dernier cuirassé et ne voulaient pas le voir "mutiler".
Face à ces incertitudes Robert m'avait conseillé de faire un peu d’ingénierie navale, c'est à dire d'essayer d'estimer l'impact sur la structure, la répartition des masses et la stabilité, mais aussi sur les chaines d'approvisionnement en cas de gros calibres, de blindage, etc. Enfin il m'avait conseillé de replacer le projet (s'il est daté) dans le contexte de l'évolution des tactiques navales. Par exemple un projet de PA hybride post 1942 est très certainement fantaisiste car la plupart des états-majors avaient tiré les leçons des batailles "au delà de l'horizon" dans le Pacifique (je possède un Science & Vie de 1942, publié à Toulouse en zone libre et qui fait ce genre d'analyse).
En appliquant cette grille au dernier dessin ci-dessus, on ne peut que rejoindre Pierre et Flash :
- Tourelle déséquilibrant le navire à tribord (le côté déjà bien chargé par le poids de l'ilot) : cela nécessite un contrepoids (lest) à bâbord qui va prendre de la place au détriment du volume de mazout et augmenter la période du roulis.
- Cette tourelle nécessite une structure tournante dessous, avec chaine d'appro et le tout blindé, ce qui n'apparait pas sur le dessin et pour cause. l'ensemble représente environ 100 tonnes pour du 203mm.
- Cette tourelle a un champs de battage très réduit et absent vers l'avant. En tirant par dessus le pont d'envol son souffle balayera les avions et personnels et risque à la longue d'endommager le pont d'envol qui n'est pas blindé comme sur un cuirassé.
- Deux tourelles placées à l'arrière vont peser sur cette partie de la coque. Il faudra équilibrer le trim en plaçant 150 à 200t de lest-qui-sert-à-rien à l'avant avec quatre effets immédiats : navire plus bas sur l'eau (moins rapide, plus humide par temps moyen), mauvaise tenue à la mer avec une coque à la fois plus lourde sur l'avant et avec un moment d'inertie en tangage plus grand et qui va plonger, grosse perte d'espace intérieur (sur une coque assez petite), effort de flexion convexe sur la poutre-navire (plus lourde aux extrémités) qui va demander un renforcement au niveau du pont d'envol (donc un poids plus important).
- Si le projet date de 41-42, alors il ne tient pas compte du retour d'expérience américain récent et qui était certainement connu des architectes (puisque connu des civils de Science & Vie !). J'ai du mal à croire que les allemands étaient si conservateurs.
Aussi je me pose la question de l'authenticité de ces dessins. Projets réels ? Projets "pour amuser la galerie" et décrocher un contrat ? Invention plus tardive d'un bon dessinateur sans notions de mécanique ou d'architecture navale ? Tout est possible.
Enfin, pour le fun et d'un point de vue plus psychanalytique, je me suis toujours marré en contemplant ces "what-if" dont l'un des points communs est la profusion de canons, tous plus gros les uns que les autres. La logique historique voudrait qu'au contraire ces projets soient littéralement recouverts de DCA, genre 40 et 20mm, mais non : on veut des gros canons... Transfert symbolique ? C'est grave docteur ?
_Bruno
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Hi Bob!
C'est curieux chez les marins ce besoin de faire des phrases
Si Vis Pacem Parafilmum
La sous-couche, c'est un apprêt que l'on met avant
Si on bricolait plus souvent on aurait moins la tête aux bêtises
Omnes stulti, et deliberationes non utentes, omnia tentant
Une journée au cours de laquelle on n'a pas ri est une journée perdue
Espérons que le fond de la mer est étanche
Oh, ça c'est le Quacta qui se moque du Stifling
Telle est la Voie !