Pour étendre et compléter le post de Pascal :
30 Novembre 1942 :
Bataille de Tassafaronga ou 4e Bataille de Savo, ou Bataille de Lunga Point
Le 8 août 1942, les forces expéditionnaires américaines débarquent à Guadalcanal et à Tulagi dans les îles Salomon (Pacifique Sud). Commence alors une longue campagne de conquête, île après île, de cet archipel, début d'une conquête du Pacifique.
Une longue campagne qui devait être suivie de courtes, mais très violentes actions navales nocturnes à l'intérieur de ce long détroit qui sépare les deux parties de l'archipel : La fente (the Slot)
Les Japonais tentent de ravitailler leurs troupes de nuit à terre et les Américains essaient d'arrêter "l'express de Tokyo" presque toutes les nuits.
Ces batailles impliquent principalement des croiseurs et des destroyers (sauf quelques actions de cuirassés). Canons contre torpilles, avec de nombreuses pertes des deux côtés.
Le détroit fut bientôt surnommé "Ironbottom Sound" en raison du grand nombre d'épaves. Cette longue et douloureuse campagne a forgé de nombreuses tactiques américaines qui ont profondément transformé l'efficacité de l'US Navy.
L'essentiel des efforts et des pertes est supporté du côté américain par ces croiseurs d'avant-guerre de construction légère et au blindage mince.
Le 29 novembre 1942, la Task Force 67 reprend la mer pour intercepter le Tokyo Express qui tente de ravitailler Guadalcanal. La bataille de Tassafaronga, ou "4ème bataille de Savo" (pour les Japonais) ou "bataille de Lunga Point" (dans certains rapports d'époque américains) allait commencer.
Du côté japonais, une force de 8 destroyers :
Naganami (amiral Raizo Tanaka),
Takanami,
Kuroshio,
Oyashio,
Kagero,
Suzukaze,
Kawakaze et
Makinami dont six avec une lourde cargaison de ravitaillement (des barils à moitié remplis) destinée à être larguée en mer près du rivage. Pour gagner du poids, ces navires n'avaient pas de recharge de torpilles. Pas de radar, mais un excellent entraînement au combat de nuit.
Côté américain : une force de 5 croiseurs (
Minneapolis,
New Orleans,
Pensacola,
Northampton et
Honolulu) et 4 destroyers (
Fletcher -tout neuf
-,
Drayton,
Maury et
Perkins) sous le commandement du contre-amiral Wright (
Minneapolis) qui vient de remplacer l'amiral Kinkaid la veille. Avertie par les renseignements, la Task Force 67 avait quitté Espiritu Santo, à 900 km au sud, le 29 novembre à minuit et filait à 27 nœuds vers le "Slot".
Sur le papier, les Américains avaient le radar, l'avantage du nombre et de la puissance de feu. Mais les Japonais avaient développé de meilleures tactiques de combat de nuit et, surtout, ils disposaient de la torpille "Long Lance", bien supérieure à celle de leur adversaire.
Cette nuit sans lune, la mer était très calme. Une situation idéale pour un véritable "combat de chiens dans un tunnel", selon l'expression américaine.
Les deux forces entrèrent en contact vers 23 heures, le 30 novembre. Les destroyers japonais détectèrent la colonne américaine à 23h16 et Tanaka suspendit immédiatement l'opération de ravitaillement.
Les Américains n'eurent que le
Takanami sur l'écran radar, l'île de Savo masquant le reste de la force, mais l'amiral Wright retint l'ouverture du feu des croiseurs, pensant ne pas être à la distance optimale. En conséquence, les destroyers américains en tête de colonne dépassèrent la force ennemie et sortirent de leur zone pour une attaque à la torpille. Ils étaient "out" pour le combat à venir.
La flotte américaine ouvrit le feu à 23h21, se concentrant sur le destroyer de tête, le
Takanami, qui fut rapidement réduit à une épave fumante par les obus du
Minneapolis. Le reste de l'escadre japonaise n'était toujours pas détecté : les destroyers nippons en profitèrent pour augmenter leur vitesse et lancer une seule salve de 44 torpilles en direction des éclairs d'artillerie américains.
À 23 h 37, le massacre commença : Le
Minneapolis reçut deux torpilles. La première toucha le côté bâbord juste devant la tourelle A. La proue entière, maintenant juste suspendue par le pont, se replia vers le bas de 70 °, induisant un freinage brutal du croiseur qui était à pleine vitesse et semant la panique derrière, la colonne marchant à 27kts dans l'obscurité sans lune. La deuxième torpille frappa à bâbord, au niveau de la chaufferie n°2, démolissant 3 chaudières du croiseur.
Le
New Orleans venait ensuite, 900m derrière. Une torpille le frappa entre les tourelles A et B. La proue fut arrachée sur tribord avec la tourelle A et coula rapidement dans l'obscurité.
Le
Pensacola suivait et évita de justesse les deux navires de tête par bâbord, c'est-à-dire en plein dans la trajectoire des torpilles. Il fut touché à bâbord sous le mât arrière, provoquant un gigantesque incendie de mazout, le mât servant de torche ; sa coque embarqua environ 3 000 tonnes d'eau (pour un déplacement de 11 000 tonnes).
Juste derrière, l'
Honolulu eut la chance d'éviter des croiseurs en doublant par le travers tribord et s'en sortit indemne.
Enfin, le
Northampton, qui passait également par le travers tribord, mais sans augmenter sa vitesse, fut touché par deux torpilles dans la zone de l'espace machine arrière. Il était 23 h 48.
Ainsi, en seulement onze minutes, la force entière de croiseurs avait été anéantie à l'exception de l'
Honolulu.
Par chance l'escadre japonaise n'embarquait pas de recharge de torpilles à cause de sa mission de transport. Les quatre croiseurs américains immobiles et en feu auraient fait de très belles cibles.
Sa mission de ravitaillement ayant échoué, le Tanaka se retira, laissant le
Takanami qui coula vers 1h30 du matin.
Du côté américain, la situation était dramatique : Le
Northampton devait bientôt être abandonné et coula vers 3 heures du matin.
Le
Minneapolis, le
New Orleans et le
Pensacola étaient gravement endommagés. Après une lutte héroïque des équipes de contrôle des dommages, ils purent "ramper" par leurs propres moyens jusqu'au port de Tulagi, pour y subir des réparations d'urgence.
Le
Pensacola était gravement endommagé : la torpille avait causé des dégâts si importants à l'arrière que la poupe du croiseur lourd était à peine attachée au reste du navire et se balançait doucement avec la houle. Quelques membrures, un peu de bordé de coque et un arbre d'hélice étaient pratiquement tout ce qui retenait encore la section arrière au reste du navire. Il put naviguer jusqu'à Nouméa sur un seul arbre et fut temporairement consolidé par le
Vestal (un des travaux les plus remarquables effectués par ce navire de réparation pendant la campagne), puis retourna à Mare Island pour une reconstruction de six mois.
Les deux autres croiseurs,
New Orleans et
Minneapolis furent " rafistolés " avec une proue temporaire en acier et en rondins de cocotier et retournèrent plus tard par leurs propres moyens à Mare Island pour une reconstruction.
Cette bataille s'est soldée par une nouvelle victoire tactique pour les Japonais : cependant, le ravitaillement de Guadalcanal avait échoué.
Wright a été récompensé pour sa bravoure et certaines critiques se sont portées plus tard sur Cole, commandant de l'escadron de destroyers qui n'avait pas réussi à lancer son attaque à la torpille à temps.
A cette époque, les Américains ne connaissaient pas les caractéristiques exceptionnelles de la torpille japonaise "Long Lance" et n'avaient pas tenu compte de la grande infériorité de leurs propres torpilles. De plus, leur artillerie utilisait un type de poudre qui générait des éclairs lors des tirs, révélant immédiatement la position de leurs navires dans l'obscurité.
Cette bataille suscita une réflexion de l'état-major, qui demanda rapidement des améliorations sur ces points. L'US Navy en bénéficia par la suite, notamment lors de la bataille du détroit de Surigao dans la nuit du 25 octobre 1944.
Des images de la bataille et sa suite :
L'USS
Pensacola (CA-24) dans la rade de Nouméa, à couple de l'USS
Vestal en plein travail de consolidation des dommages subis pendant la bataille. Noter le mât tripode arrière complètement brûlé par l'incendie :
Gros plan des dégâts. "
Sweet Pea" est encore bas sur l'eau en raison des 3 000t d'eau embarquées :
Extrait du rapport officiel des dommages subis. Il est extraordinaire qu'un croiseur aussi peu protégé ait survécu à un tel dommage :
L'USS
New Orleans CA-32 camouflé dans la rade de Tulagi pendant les premiers travaux d'urgence :
Onze jours plus tard le
New Orleans rallia Sidney en marche arrière. Là, une étrave provisoire en tôle lui fut fixée :
La section avant la pose de l'étrave provisoire :
Puis il traversa le Pacifique jusqu'à Mare Island où un nouvel avant l'attendait :
Un an plus tard à Pearl Harbor, le
New Orleans réparé et transformé (à droite), retrouvait le
Pensacola (au centre) et le sister ship de celui-ci, le
Salt Lake City (à gauche), ce dernier sortant aussi de réparation après les importants dommages subis lors de la Bataille des Iles Komandorski :
L'USS
Minneapolis CA-36 (classe
New Orleans) arrivant dans la rade de Tulagi le lendemain de la bataille. Contrairement au
New Orleans son avant n'est pas complètement détachée mais pend sous le navire avec un angle de 70e, ne tenant que par les tôles du pont. La première mission du navire de réparation USS
Ortolan sera d'oxycouper l'avant qui est toujours au fond de la baie par 19m de fond et fait la joie des plongeurs de nos jours :
Extrait du rapport officiel des dommages montrant les dégâts sur l'avant et dans la chaufferie :
"
Minnie" camouflé en rade de Tulagi. Il y a une quinzaine d'années j'ai correspondu brièvement avec un ancien marin qui a vécu cet évènement. Pendant une dizaine de jours tout l'équipage fut mobilisé pour alléger le navire en balançant l'artillerie secondaire et tout ce qu'ils pouvaient à la mer. Une fois l'étrave dégagée, et après une explosion accidentelle qui faillit couler le croiseur ils constituèrent un "pont" jusqu'à la rive avec des vedettes lance-torpilles liées bord à bord dans le but de convoyer des troncs de palmier abattus par les "Seabees" du 27e bataillon, pour réaliser un "patch" protégeant l'avant de la pression de la mer en marche.
Le travail était harassant, dans une chaleur torride et avec une humidité maximale. Les vêtements humides ne séchaient pas, l'intérieur du navire était un four ou les hommes s'évanouissaient, les moustiques s'en donnaient à cœur joie et les redoutables crocodiles marins rôdaient tout autour. Il en a gardé, on le comprend, un très mauvais souvenir :
Le "patch" de troncs d'arbre. A la différence du
New Orleans les plongeurs de l'USS
Ortolan furent capable de souder une étrave en tôle jusqu'au-dessus de la ligne de flottaison, ce qui permettait au navire de se déplacer en marche avant :
Comme pour le
New Orleans la construction d'un avant de rechange avait été débutée à Mare Island alors que le navire n'avait pas encore quitté Tulagi et venait d'être déclaré "sécurisé". Devant le manque criant de croiseurs il ne fallait pas perdre de temps. Quand les croiseurs sont arrivés en Californie les remplacement étaient prêts.
La section du
Minneapolis à l'arrivée à Mare Island. On distingue les restes de l'étrave provisoire, en cours de démontage :
Le grand absent : l'USS
Northampton CA-26 qui coula dans la nuit. Photo de l'été 1941. Noter la fausse vague d'étrave :
Tous ces croiseurs d'avant-guerre avaient été soumis aux restrictions imposées par le Traité de Washington de 1921 qui limitait le déplacement des croiseurs à 10 000t et son calibre maximum à 8in (203mm).
Si le Pensacola (le plus vieux) était 900t en-dessous de la limite par excès de précaution et, pour la première fois, l'emploi massif de la soudure, les suivants, à 10 000t pile, restaient insuffisamment blindés et ne pouvaient compter que sur leur vitesse pour en réchapper. Dans la Navy ils étaient surnommés les "tin cans" (boites de fer blanc).
Le Bureau of Ships américain s'affranchit définitivement des contraintes du Traité de Washington en 1941 et les premiers croiseurs "libérés de toute contrainte", les Newport-News (protection) et Alaska (protection et calibre) affichaient un déplacement bien plus grand, 17 000t et 29 000t respectivement
Sources :Samuel Eliott Morison : History of United States Navy Operations in WW2Damage Reports pour USS Northampton, New Orleans, Minneapolis, Pensacola_Bruno
Dernière édition par bgire le Jeu 01 Déc 2022, 15:10, édité 5 fois
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Hi Bob!
C'est curieux chez les marins ce besoin de faire des phrases
Si Vis Pacem Parafilmum
La sous-couche, c'est un apprêt que l'on met avant
Si on bricolait plus souvent on aurait moins la tête aux bêtises
Omnes stulti, et deliberationes non utentes, omnia tentant
Une journée au cours de laquelle on n'a pas ri est une journée perdue
Espérons que le fond de la mer est étanche
Oh, ça c'est le Quacta qui se moque du Stifling
Telle est la Voie !