Il y a 104 ans ce 10 aout 1918 à 21h, une petite flottille britannique quittait le port de Harwich pour un raid sur les côtes allemandes. Le lendemain 11 aout 1918 le Flight Sub-Lieutenant anglo-canadien Stuart D Culley accomplit ce qui peut être considéré comme la toute première mission de chasse de l’Histoire à partir d’un navire porte-avions en abattant le grand Zeppelin L53 au-dessus de la mer du Nord.
Depuis 1916 le squadron commander Porte de la base d’hydravions de Felixstowe avait fait construire des allèges modifiées (« lighter » en anglais, petits bateaux chargés à l’origine de transborder de la marchandise d’un navire à la côte) dans le but de convoyer les hydravions de reconnaissance, remorqués derrière un destroyer, au plus près des côtes allemandes pour compenser leur faible rayon d’action.
Le 3 mai 1918 le colonel Samson demanda à l’Amirauté le prêt de quelques « lighters » pour y expérimenter la prise en charge du chasseur « terrestre » Sopwith Camel 2F.1.
L’idée (folle ou audacieuse) était de monter sur le lighter une petite plateforme en bois sur laquelle le Camel était brêlé par un système de sangle détachable depuis le cockpit. Le « Camel Lighter » était ensuite trainé en remorque 450m derrière un destroyer qui fonçait face au vent à vitesse maximale de 30 nœuds. Le vent relatif créé suffisait pour permettre au Camel de décoller après avoir roulé sur… 1m50.
Le Camel accomplissait sa mission de supériorité aérienne, puis redescendait et « amerrissait » dans l’eau à côté de son destroyer. L’avion n’était pas muni de flotteurs et il fallait agir vite avant qu’il ne coule. On récupérait le pilote, puis l’avion était croché et hissé sur son lighter au moyen d’une petite potence, rincé et séché.
A noter le jeu de mot sur « Camel Lighter » : en anglais lighter signifie « allège », mais aussi « briquet » et les cigarettes Camel étaient déjà populaires dans l’armée britannique. Enfin la mission de l’avion était de détruire les Zeppelins allemands en y mettant le feu.
Pendant les trois mois qui suivirent on bricola, expérimenta et mit au point la technique de décollage, d’interception et de récupération.
Le Camel brêlé sur son mini-pont d’envol :
Le berceau de fixation du Camel sur le lighter :
Un premier essai eu lieu le 30 mai 1918, le lighter étant remorqué seulement 15m derrière le destroyer HMS
Truculent. Les remous de sillage créés par la masse du destroyer déséquilibrèrent le léger Camel qui piqua du nez dans l’eau et fut détruit. Le colonel Samson s’en tira sans dommage.
A 30 nœuds le lighter prenait une attitude de type « hors-bord », la proue en l’air et la poupe enfoncée. Le pont d’envol et l’avion se trouvaient alors inclinés et un officier devait se poster sous la queue pour la soulever afin d’atteindre la bonne incidence. Le problème fut résolu en fabricant un plateforme pré-inclinée vers l’avant.
Plan 3 vues d’un « Camel Lighter” dans sa version définitive :
Enfin, pour limiter les turbulences la remorque fut considérablement allongée jusqu’à environ 450m :
Le lighter et son avion remorqués à pleine vitesse derrière le destroyer :
Le destroyer transmettait les ordres au lighter par sémaphore au second pilote (le pilote de réserve) chargé de la direction sur place. Une fois le signal « Flight action » reçu tout s’enchainait avec cette fameuse organisation toute britannique :
- La personne chargée de la remorque et celle chargée de l’amarrage de l’avion détachaient les câbles de maintien.
- Le lanceur d’hélice ôtait la goupille de blocage axiale et les cales de roue, libérant l’avion.
- Le pilote montait dans son cockpit et procédait au check-up pré-décollage.
- L’ingénieur et le lanceur d’hélice brassaient le moteur (faire tourner l’hélice pour râcler l’huile qui est dans les cylindres) pendant que le reste de l’équipage se réfugiait sous le pont.
- Un homme restait de chaque côté, muni d’une bouée de sauvetage, l’armurier et son aide armaient les mitrailleuses.
- Le destroyer accélérait alors jusqu’à 25 nœuds et envoyait alors un signal visuel au second pilote qui se postait à bâbord, le buste au-dessus du niveau du pont, les autres se glissant dessous.
- L’ingénieur lançait alors le moteur.
- Le destroyer montait alors à 30 nœuds et envoyait un second signal. Le second pilote levait un fanion indiquant « Stand-By ». Le pilote mettait alors plein gaz.
- Le second pilote, après vérification, abaissait son fanion : le pilote tirait sur un câble qui détachait l’avion de son berceau et commençait à rouler.
- Une fois le Camel en l’air, le destroyer virait dans la direction de l’objectif et s’y maintenait pendant 3 minutes. La trainée de fumée qu’il émettait alors indiquait au pilote la direction initiale de la mission. Puis le navire mettait en panne et ramenait le lighter à environ 30m. Pendant ce temps l’équipage du lighter montait le derrick chargé de la récupération de l’avion.
- Enfin le destroyer se déplaçait vers le lieu de rendez-vous où il restait 3h maximum en laissant filer par intervalle une trainée de mazout pour signaler sa position au Camel.
Pour se retrouver au point d’amerrissage après la mission l’avion et le destroyer communiquaient en tirant des fusées.
Un autre point délicat était l’amerrissage, ou plutôt le crash contrôlé dans l’eau pour un appareil qui n’était pas prévu pour cela et pouvait « flotter » entre 3 et 5mn. Il fallait ensuite récupérer le pilote, puis l’avion avant qu’il ne coule et le replacer sur le lighter, après quoi il fallait le rincer de l’eau de mer.
Le Camel est hissé sur son lighter au moyen d’une petite potence :
La mission :
Le 10 aout 1918 à 21h une flottille quitta Harwich. Sa mission était d’attaquer les mouilleurs de mine qui opéraient dans le Bight (la côte allemande).
Elle comprenait les croiseurs HMS
Curacoa,
Coventry,
Concord et
Danae et 8 destroyers d’escorte. Chaque croiseur embarquait deux Coastal Motor Boats (CMB).
Les destroyers HMS
Retriever,
Thisbe et
Teazer remorquaient chacun un lighter avec un hydravion Felixstowe F.2A. Enfin le destroyer HMS
Redoubt remorquait le lighter H3 transportant le Camel du Flight Sub-Lieutenant Culley.
Le plan consistait à attaquer avec les CMB, les hydravions assurant la couverture aérienne. Le Camel était là au cas où un Zeppelin pointerait son nez, tel l’ancêtre de la CAP (Combat Air Patrol) de la Guerre du Pacifique, 25 ans plus tard.
Arrivés au point de lancement les CMB et les hydravions furent mis à l’eau mais, outre une longue houle, il n’y avait pas assez de vent pour que ceux-ci décollent avec le plein de carburant et de bombes. Ils furent rembarqués, laissant les CMB sans protection aérienne et qui finirent massacrés par l’aviation allemande.
Voici ce qu’en rapporte le Major Leckie, commandant un groupe d’hydravions envoyés de Yarmouth en renfort :
« En arrivant au-dessus de la force de Harwich, j'ai reçu l'ordre suivant par signal visuel : "Continuez en direction de Terschelling, cherchez 6 CMBs qui manquent à l’appel". Je ne savais pas jusqu'à ce moment-là que les CMB étaient utilisés. Conformément aux ordres, j'ai poursuivi ma route et à l'approche de Terschelling le major F.J. Fetherston, à bord de l'un des autres bateaux, a commencé à m'envoyer le signal " Zepp… ". Dès que le premier mot de son message a été reçu, l'attention a été dirigée vers le ciel et le nord-est et, bien sûr, un Zeppelin a été vu à une hauteur d'environ 4 600m.Je savais que Culley et son Camel étaient avec la flottille et je n'avais pas l'intention de gâcher son plaisir en commençant une attaque sur le Zeppelin qui serait certainement avortée. Comme je ne pouvais pas rompre le silence radio, j'ai fait demi-tour et en atteignant le navire amiral, j'ai signalé par signal visuel ce qui suit : "Zeppelin NE de la flottille en direction W". Sur quoi j'ai reçu le signal suivant : "N'intervenez pas, Camel y va", suivi de l'ordre étonnant : "Retournez à votre base".Conformément à ces ordres, le cap fut mis sur Yarmouth. »Le contre-amiral Tyrwhitt, à bord du croiseur amiral HMS
Curacoa, tourna sa force de 16 degrés pour essayer d’entrainer le Zeppelin au large.
Le Zeppelin était le L53 commandé par le Korvettenkapitän Proells, qui changea de cap vers la flottille.
À 8 h 15, le HMS
Curacoa signala au HMS
Redoubt que le L53 était en vue et l'information fut relayée à l’allège (Lighter) H3 où les bâches de protection furent enlevées du Camel, les câbles d’ancrage de l'avant, de la queue et des extrémités des ailes détendus.
Culley enfila son équipement de vol, monta dans le cockpit, l'hélice fut tournée et le moteur brassé.
Le Camel N6812 était maintenant prêt à décoller à trois minutes de préavis.
Le HMS
Redoubt signala « Flight Action », après quoi le second pilote, le colonel Samson, se positionna sur l'échelle bâbord de la barge et ordonna de lancer l'hélice - ce qui n'était pas une mince affaire pour le marin qui en était chargé, sur un pont qui tanguait avec un vent de 30 nœuds dans son dos - et de démarrer le moteur.
Lorsque le
Redoubt signala « 30 nœuds », Samson, maintenant assuré que tout était correct, abaissa son drapeau pour donner à Culley l'ordre de décoller.
Culley poussa la manette des gaz vers l'avant pour obtenir le régime maximum et à 08h58, il tira sur la manette de la sangle de largage rapide.
Une vue d’artiste du décollage de Cullen :
Après une course au décollage de seulement 150cm, le Camel N6812 était en l'air et grimpait vers l'altitude du L53 avec le soleil dans le dos.
Pendant que nous laissons Culley grimper pour atteindre l'altitude, le destin, car tel est le cas, doit être considéré pour les six Coastal Motor Boats.
Ils avaient été repérés et rapportés à sa base par le L53, et furent rapidement attaqués par des hydravions Hansa Brandeburg W29 venus de Borkum et Nordeney.
Tous les CMB furent coulés ou repoussés à terre par les bombes et les tirs de mitrailleuses, sans atteindre aucun de leurs objectifs et sans aucune couverture aérienne.
Mais revenons à Culley. Selon ses propres paroles :
« Le Zeppelin semblait être très haut et avait toujours la même taille que lorsque je l'avais observé pour la première fois, à savoir la taille du petit doigt. J'ai donc supposé que lorsque j'avais atteint environ 1500m, il avait commencé à monter rapidement, et c'était une très mauvaise nouvelle car il appartenait au tout dernier type de Zeppelin dans une classe connue sous le nom de "Height Climbing 50s" qui était réputée pour dépasser en altitude n'importe quel avion alors disponible dans les forces alliées.Cependant, il n'y avait rien d'autre à faire que de continuer à monter aussi vite que possible, toujours dans la direction dans laquelle le Zeppelin semblait se déplacer.Il n'était pas encore question d'intercepter le Zeppelin, car on ne pouvait pas essayer d'élaborer un plan.Finalement, lorsque j'étais à environ 5 500m, j'ai réalisé que j'étais de plus en plus au niveau du Zeppelin : j'ai vu qu'il changeait de cap et qu'il semblait tourner à nouveau vers la mer, après avoir navigué vers l'Est, plus ou moins vers sa base en Allemagne.Je me suis donc lancé à sa poursuite, quelque peu déprimé, car je me suis rendu compte qu'à cette hauteur, je n'aurais que peu ou pas d'avantage en termes de vitesse et qu'il allait presque certainement s'échapper.Mais heureusement, je me suis trompé : je n'ai pas tardé à me rendre compte que le Zeppelin avait tourné directement vers moi et que j'étais presque au même niveau.Avec une vitesse pertinente de plus de 120 nœuds, il n'a pas fallu longtemps pour que les quelques kilomètres qui nous séparaient soient réduits à néant et j'ai vu que j’allais rencontrer le dirigeable de face, lui se situant à quelques centaines de pieds au-dessus de moi.Le colonel Samson m'avait donné des instructions écrites strictes selon lesquelles je devais grimper au-dessus du dirigeable et plonger sur lui pour l'attaquer car il n'y avait pratiquement aucune défense vers le haut.Mais c'était manifestement le moment ou jamais et en quelques secondes j'ai vu l'énorme masse du Zeppelin se profiler devant moi.Je pouvais voir la nacelle de commande et les nacelles moteurs avec leurs hélices qui tournaient, puis j'ai ramené le petit Camel dans une position presque stable. Alors que le Zeppelin arrivait au-dessus de moi, j'ai appuyé sur la détente des deux mitrailleuses Lewis montées sur le plan supérieur et je les ai entendues crépiter.La mitrailleuse bâbord s'est enrayée après 15 coups, mais la mitrailleuse tribord a vidé tout son magasin de 97 cartouches.Alors que je passais sous le ventre du dirigeable, j'ai vu un grand objet sombre tomber et disparaître en dessous, mais il n'y avait bien sûr aucune possibilité de le suivre.Il s'agissait cependant probablement du seul survivant du Zeppelin, qui a été rapporté plus tard comme ayant été récupéré par des navires de recherche allemands, après avoir descendu les 5 800m en parachute.Après que les mitrailleuses eurent cessé de tirer, le petit Camel s'effondra en décrochant complètement, hors de contrôle.Il n'y avait absolument aucune possibilité de surveiller le dirigeable et j'ai dû consacrer toute mon attention à sortir l'appareil de la vrille dans laquelle il s’était engagé.Cela a pris plusieurs centaines de mètres.Finalement, je le ramenais à l'horizontale et j'ai regardé en arrière pour voir le dirigeable naviguer majestueusement comme si rien ne s'était passé.J'étais sur le point de me tourner à nouveau vers mes commandes quand soudain, en trois points très dispersés du L53, il y eut une explosion de flammes pures.En l'espace d'une minute tout au plus, l'ensemble du dirigeable, à l'exception de la queue, était une masse de flammes qui s'éteignirent presque aussi vite qu'elles étaient apparues, puis le grand squelette métallique avec la queue fumante mais non brûlée et le drapeau flottant, tomba rapidement en un seul morceau, mais avec l'arrière du squelette brisé à environ un tiers de la distance du nez.Le grand dirigeable L53 disparut dans la brume, emportant avec lui plus de 30 membres d'équipage allemands.On m'a dit plus tard qu’il s’était écoulé juste une heure depuis mon décollage du lighter H3 ».Culley se dirigea alors vers la côte hollandaise, tourna vers le sud jusqu'au Texel et se rendit au rendez-vous de Terschelling Bank.
À 1 800m, des nuages fragmentés obscurcissaient sa vision et aucun destroyer n'était visible.
Son réservoir pressurisé étant à sec, il décida d'amerrir près d'un bateau de pêche néerlandais.
Mais au dernier moment, il aperçut les destroyers de la force de Harwich et, tirant une fusée Very's Light, il se posa dans l’eau juste devant le HMS
Redoubt qui était déjà en train de mouiller sa baleinière.
Culley fut récupéré, le Camel fut amené le long de l’allège et hissé à bord au moyen de la potence.
Ce fameux Camel N6812 est maintenant exposé à l’Imperial War Museum.
Stuart Culley a été recommandé pour la Victoria Cross, mais il a finalement été récompensé pour sa bravoure par la DSO.
Le Flight Lieutenant Culley :
Le Lighter H21, identique au H3 de Culley, en cours de restauration :
Ainsi se termina avec succès la toute première opération aéronavale d’interception à partir d’un « porte-avions »
_Bruno
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Hi Bob!
C'est curieux chez les marins ce besoin de faire des phrases
Si Vis Pacem Parafilmum
La sous-couche, c'est un apprêt que l'on met avant
Si on bricolait plus souvent on aurait moins la tête aux bêtises
Omnes stulti, et deliberationes non utentes, omnia tentant
Une journée au cours de laquelle on n'a pas ri est une journée perdue
Espérons que le fond de la mer est étanche
Oh, ça c'est le Quacta qui se moque du Stifling
Telle est la Voie !