Masamitsu Yoshioka est décédé à l'âge de 106 ans.
Il était le dernier aviateur survivant japonais de l'attaque de Pearl Harbor.
"J'espère qu'il n'y aura plus jamais de guerres." Tels furent parmi les derniers mots publiés de Masamitsu Yoshioka, dernier survivant connu de l'attaque japonaise sur Pearl Harbor le 7 décembre 1941. À 23 ans, il servait comme aviateur d'un bombardier-torpilleur Nakajima B5N de la Marine impériale japonais, pendant l'assaut surprise qui précipita les États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale.
À 106 ans, l'homme qui a longtemps gardé sous silence ses expériences de guerre est décédé en août, a annoncé le Telegraph le 25 septembre 2024.
Un engagement dans la marine japonaise
Masamitsu Yoshioka naît dans la préfecture d'Ishikawa (Honshū, ouest du Japon) le 5 janvier 1918. Il rejoint la Marine impériale japonaise en 1936, où il commence une formation de navigateur. Trois ans plus tard, il est affecté au Sōryū, un porte-avions de 227 mètres qui soutient l'invasion de la partie orientale de la Chine par l'Armée impériale japonaise (seconde guerre sino-japonaise, 1937-1945) puis celle de l'Indochine française (septembre 1940).
En août 1941, le jeune pilote est soudainement affecté à une autre mission, dont il ne connaît l'objectif : il apprend à maintenir une ligne de vol horizontale et à trouver l'angle précis pour larguer des torpilles. Le 26 novembre 1941, le Sōryū quitte les îles Kouriles, aujourd’hui rattachées à la Russie. Masamitsu Yoshioka et les autres membres de l'équipage ignorent tout de leur destination – si ce n'est qu'elle était sûrement au sud ; il leur avait été demandé de prendre des shorts. Ils rejoignent une armada de cinq autres porte-avions et de cuirassés.
Le 2 décembre, la nouvelle tombe à bord du navire de guerre : les négociations entre les États-Unis et le Japon pour tenter d'empêcher l'affrontement ont échoué. Les pressions économiques s'intensifient pour les Japonais, notamment l'embargo sur les exportations américaines de pétrole et d'acier, ressources vitales pour l'effort de guerre nippon. Afin de poursuivre leur expansion en Asie du Sud-Est sans interférence, les dirigeants japonais décident alors de lancer une offensive surprise dans le Pacifique, pour neutraliser temporairement la flotte américaine.
De Pearl Harbor, souvenirs et culpabilité
Lorsque la célèbre base navale de Pearl Harbor apparaît aux yeux des militaires du Sōryū peu avant 8 heures, de la fumée noire s'élève déjà des navires américains touchés par la première vague de l'attaque sur l'île d'Oahu (Hawaï). Les bombardier-torpilleurs Nakajima B5N2 – surnommés "Kate" par les pilotes américains –, se préparent à entrer en action.
Quelque temps auparavant, l'un de leurs navigateurs, Masamitsu Yoshioka, fut stupéfait lorsqu'on lui annonça que son groupe participerait à une frappe massive sur le territoire américain, comprenant plus de 300 avions japonais. Ce jour du 7 décembre, depuis le Nakajima B5N2 ( kate ) stabilisé à environ 10 mètres au-dessus de l'eau, le jeune homme de 23 ans accomplit donc ce pour quoi il a été formé : il largue une torpille de près de 800 kilogrammes en direction d'un cuirassé l'United States Navy et observe son mât s’incliner alors qu'il se remplit d’eau.
Toutefois, il remarque que les tourelles du navire n'ont pas de canons… et réalise son erreur. C'est l'USS Utah qui a été touché. Or, les équipages japonais avaient reçu les instructions strictes de ne pas perdre de temps avec ce bateau spécifique, qui n'est plus opérationnel et sert à l'entraînement à la défense antiaérienne. Lorsque Masamitsu Yoshioka revient sur le Sōryū, 58 hommes à bord de l'Utah sont morts. Ils font partis des plus de 2 400 militaires et civils américains tués lors de l'attaque de Pearl Harbor, auxquels s'ajoutent plus de 1 800 blessés.
"Maintenant, je pense aux hommes qui étaient à bord de ces navires que nous avons torpillés. Je pense aux gens qui sont morts à cause de moi. Ils étaient jeunes, tout comme nous", déclarait Masamitsu Yoshioka dans une interview réalisée par Jason Morgan, professeur associé à l'université Reitaku de Kashiwa (Japon). Publié sur Japan Forward en 2023, l'entretien le décrivait comme le dernier vétéran connu du côté des forces impériales japonaises à avoir survécu à l'attaque. De celle-ci, dont il ne s'attendait pas à revenir vivant, l'homme aura gardé des souvenirs limpides et poignants… et un fort sentiment de culpabilité, racontait-il.
"J’aimerais rendre mes plus profonds respects"
Au lendemain de Pearl Harbor, alors que la guerre se répand dans le Pacifique, le militaire participe à des missions de soutien de la bataille de l'atoll de Wake. Au printemps 1942, il prend part à l'attaque contre des navires alliés au large du Ceylan britannique (actuel Sri Lanka). Alors qu'il est en permission en juin 1942, le Sōryū est coulé lors de la bataille de Midway. Puis, sur l'île de Peleliu (Palaos), il contracte la malaria et est évacué… avant les bombardements et l'assaut des forces américaines. Une bataille qui causa de lourdes pertes des deux côtés.
À la fin de la guerre, le Japon utilise des attaques kamikazes contre les navires alliés. Il n'y a plus suffisamment de pièces pour entretenir ou réparer les Nakajima B5N2. En août 1945, il est donc cloué au sol dans une base aérienne lorsque l'empereur Hirohito annonce la reddition du Japon, après que des bombes atomiques aient ravagé Hiroshima et Nagasaki, les 6 et 9 août.
Masamitsu Yoshioka travaillera par la suite dans une entreprise de transport et pour la marine japonaise réformée (la dite "Force maritime d'autodéfense"). Pendant des décennies, il resta néanmoins muet quant à son passé. "J’ai honte d’être le seul à avoir survécu et vécu si longtemps", révélait-il à Jason Morgan. À la question de s'il s'était rendu à Hawaï après les terribles événements, il répondait, un an avant son décès : "Si je pouvais y aller, j’aimerais. J’aimerais visiter les tombes des hommes qui sont morts. J’aimerais leur rendre mes plus profonds respects".
Mathilde Ragot.
Journaliste rédactrice web Histoire GEO.fr