Le récit de l'échouage de l' U. C. 61 à Wissant, publié en 1927,nous fait entrevoir les énormes qualités d'endurance
et de sang-froid exigées de l'équipage d' un sous-marin...
En 1917, il valait certainement mieux se retrouver dans la peau d'un cavalier que dans celle d'un sous-marinier!
L'enseigne de vaisseau Guichard, commandant un groupe de vedettes en surveillance au large du cap Gris-nez,
eut, dans la nuit du 25 au 26 juillet 1917, une belle émotion.
Par un temps si parfaitement calme, que l'on aurait entendu le moindre son de voix à plus d'un mille et
au milieu d'un brouillard si épais qu'il ne distinguait ni l'avant ni l'arrière de sa vedette, le commandant entendit,
vers dix heures du matin, le ronronnement caractéristique d'un moteur électrique passant non loin de son bord.
"...Nous écoutons, le cœur battant, a-t-il dit une voix rauque qui s'élève et lance un commandement
dans lequel je distingue nettement les syllabes recht et auf..."
Dans la brune épaisse les vedettes s'efforcent en vain de découvrir la piste, prêtes à lancer leurs torpilles
ou leurs grenades ; mais le brouillard rend folles toutes recherches et le sous-marin, perdu,continue sa route à tâtons...
Il ne devait plus aller bien loin.
Vers cinq heures du matin, le douanier Serin, se trouvant sur la plage de Wissant, entrevit, dans le brouillard
une masse noirâtre à quelque distance du bord de l'eau.
Réquisitionner la barque de pêche du Patron Ternissien, y grimper avec trois collègues (les douaniers Lambert, Delcroix, et Tedellec) fut chose vite faite. A force de rames, le canot se dirige vers la chose mystérieuse et se trouve bientôt
en présence d'un sous-marin qui, tous moteurs en marches, tentait vainement de regagner la haute mer.
Sur le pont, une quinzaine de marins, portant des ceintures de sauvetage, travaillaient activement à jeter
des munitions à la mer.
Quelle était sa nationalité se demandèrent les douaniers? Aucun signe de reconnaissance ne permettait de l' identifier.
Le canot se rapprocha encore un peu et un douanier, se servant de ses mains en guise de porte-voix, s' écria:
-Ohé, du bateau, parlez-vous français?
La réponse étant arrivée affirmative, le douanier Serin demanda:
-Êtes vous Français ou Anglais?
- ...
Et, comme il ne recevait aucune réponse, il insista à nouveau; mais du haut de son poste de commandement,
le commandant du sous-marin cria, d'une voix claire, cette réponse classique depuis Waterloo:
-Tu nous emmerde!
Ce n'est sûrement pas un bâtiment de Sa Majesté Britannique pensèrent les douaniers, vexés d'une telle désinvolture. Impuissants devant le nombre, ils firent demi-tour, regagnèrent la plage et prévinrent, par téléphone,
toutes les autorités militaires de Calais qu'un sous-marin inconnu, parlant français comme feu Cambronne,
était échoué sur la plage de Wissant.
Le sous-marin, qui venait de finir si piteusement sa carrière, était l' UC-61
(commandant: lieutenant de vaisseau Georg Gerth), mouilleur de mines d'un tonnage d'environ 400 t,
long d'une cinquantaine de mètres.
Son armement comprenait trois tubes lances-torpilles, un canon de 88 m/m.
A chaque croisière, il emportait cinq torpilles, plusieurs centaines d'obus, des bombes à main pour couler les navires
non armés et, surtout, dix-huit mines pesant chacune près de 200 kilos.
Disposés à l'avant dans des "puits" verticaux, traversant de part en part le navire, elles pouvaient être immergées automatiquement du poste de commandement sans que le sous-marin fut obligé d' être en surface.
UC 61 en surface
Le bâtiment muni de moteurs à explosions et de moteurs électriques , possédait en outre la T. S. F.
Son équipage comprenait trois officiers et 22 hommes. Parmi-ceux-ci se trouvaient trois engagés volontaires de 19 ans et un second pilote qui, en surnombre de l'effectif, faisait sa première sortie et aussi la dernière!...
L' UC-61, construit à Brême, était entré en service à la fin décembre 1916, sous une étoile fort peu brillante.
Il avait accompli seulement quatre croisières et commençait sa cinquième lorsqu'il s'échoua.
La première croisière est un raid d'entraînement, la seconde par suite d'avaries ne dure que sept jours.
Pendant la troisième, l' UC- 61 avait dû plonger à plus de 60 mètres pour échapper aux grenades d'un contre-torpilleur, ce qui, par la grande pression, avait provoqué une rentrée d'eau inquiétante.
Lorsqu'il remonte à la surface, il émerge par malchance, près d'un chalutier dont le tir le force à redescendre précipitamment avec une inclinaison telle que l'eau embarquée, avarie les moteurs électriques et les rend inutilisables.
L'UC-61 est donc obligé de naviguer en surface et, au bout de trois jours rentre à Zeebrugge sans avoir été aperçu
de nos patrouilles, mais après une croisière complètement inutile.
Au bout de sept semaines de réparations, il repart. Il est à peine hors de la rade de Zeebrugge qu' il s'avarie dans un filet anglais et fait aussitôt demi-tour.
Sa quatrième croisière donne enfin un résultat: elle commence fin juin et dure 18 jours.
L'UC-61 mouille des mines aux Pierres-Noires (sur lesquelles, le 27 juin, sautera le cuirassier français Kléber),
puis croise dans le golfe de Gascogne et le long de la côte anglaise.
Le croiseur-cuirasse Kleber coule le 27 juin 1917 pres d Ouessant
Il rentre finalement à Zeebrugge après avoir péniblement couler trois voiliers et deux vapeurs.
Le 25 juillet, l'UC-61 quitte Zeebrugge à une heure de l'après-midi pour sa cinquième croisière.
Le commandant avait l'ordre de mouiller des mines devant Boulogne et Le Havre, et de s'établir ensuite en croisière
dans l' Atlantique.
A suivre...