L’usage de l’article devant les noms des navires:
29 septembre 2015 par Nicolas M.
https://troisponts.net/2015/09/29/lusage-de-larticle-devant-les-noms-des-navires/
Au temps de la marine à voiles, une tradition séculaire voulait que l’article fasse partie intégrante du nom des navires de guerre français et qu’il soit accordé, en genre et en nombre, avec celui-ci. Dans la plupart des cas, cet article apparaissait ainsi sur la poupe des navires. On donnait, en règle générale, à un vaisseau ou à un brick un nom masculin, et à une frégate ou à une corvette un nom féminin : les vaisseaux le Soleil Royal, le Tonnant, le Redoutable ; les frégates la Minerve, la Furieuse, la Belle-Poule… Des exceptions, toutefois, existaient : les vaisseaux la Ville de Paris, la Bretagne, la République française ; les frégates le Muiron, le Rubis, le Rhin. A la fin de l’Ancien Régime puis pendant la Révolution, le pluriel fit également son apparition : les vaisseaux les Deux-Frères, les États de Bourgogne, les Droits de l’Homme.
Au milieu du XIXème siècle, l’article précédent les noms des bâtiments à vapeur fut supprimé mais conservé pour les navires à voiles puis, à la fin du Second Empire, les documents officiels abandonnèrent le vieil usage d’imprimer l’article en toutes circonstances. Dés lors, on n’écrivait et on ne disait plus, comme à l’époque de la marine ancienne, la frégate la Gloire mais le croiseur Gloire, précisément parce que l’article ne faisait plus partie intégrante du nom du bâtiment. Pour autant, suivant les règles élémentaires de la grammaire française, l’article placé devant le nom du navire dans une phrase s’accordait avec le substantif, par exemple : « Une immense foule vint assister au lancement de la Gloire. »
Il en fut ainsi, sans hésitation ni problème, jusqu’au début du XXème siècle. Durant la première décennie, lorsque l’armée commença à utiliser de grands dirigeables, certains navigateurs aériens et journalistes prirent l’habitude de les nommer « le » Patrie et « le » République, l’article « le » sous-entendant le ballon dirigeable. Cette pratique ne mit guère de temps à s’étendre aux navires. A cette époque en effet, la marine commanda une série de nouveaux cuirassés aux noms très symboliques de République, Patrie, Liberté, Démocratie, Justice et Vérité. Des noms féminins pour des cuirassés (type de navire du genre masculin)… Il n’en fallait pas plus pour que plusieurs grands quotidiens annoncent, en 1907, le lancement « du » Vérité et l’armement « du » Justice.
Dés lors, beaucoup prirent la mauvaise habitude de masculiniser systématiquement l’article placé devant le nom d’un bâtiment. Rapidement des voix s’élevèrent contre cette nouvelle pratique, jugée totalement « contraire à la philologie, à l’usage et à la raison. »
Des voix telles que celles des lecteurs de L’intermédiaire des chercheurs et des curieux qui discutèrent de cette question en 1907 et 1908 : « Ne semble-t-il pas que la langue du journalisme d’information s’écarte singulièrement des règles de la grammaire quand elle énonce : le Gloire, en désignant le croiseur de ce nom, et, le Patrie, pour parler du ballon dirigeable ainsi baptisé, Patrie et Gloire étant du genre féminin ? L’article masculin précédant ces deux noms sonne désagréablement à l’oreille. Le journaliste sous-entend les mots : croiseur et ballon, évidemment. Mais, écrire incorrectement pour semblable élision ! » Ou encore celle du jeune écrivain Maurice de Noisay, qui publia en 1909 une Lettre à MM. les directeurs des journaux nationalistes à propos d’un article défini, dans laquelle il s’étonna, lui aussi, que l’on se permit d’imprimer bizarrement « le République », pour désigner un dirigeable, et « le Vérité » ou « le Justice », pour désigner un cuirassé : « […] Car, si l’on veut prononcer le République – au masculin – parce que l’on sous-entend le dirigeable, autant vaudrait d’articuler le France, pour le pays de France, et le Garonne, sous prétexte qu’il est question d’un fleuve. »
Le ministre de la marine de l’époque, Gaston Thomson, réagit et déclara très simplement : « Le nom du bâtiment est inscrit à l’arrière sans être précédé d’aucun article et on peut lire : Patrie, République, Vérité. La correction, lorsqu’on désigne le nom, veut qu’on indique en même temps la classe du navire et qu’on dise, par exemple : « le cuirassé Justice« , « le contre-torpilleur Javeline« , etc. Dans le langage courant, on ne cite que le nom, mais on a le soin alors d’accorder l’article avec le substantif. On se garde de dire : « le Liberté« , « le Jeanne-d’Arc« , « le Marseillaise« , et on a grandement raison, car je ne sais rien de plus inélégant que ces interversions de genre et de sexe. » .......
La suite très interessante ici: https://troisponts.net/2015/09/29/lusage-de-larticle-devant-les-noms-des-navires/
_________________
Pascal.
Projets en cours:
• Caboteur Blythe Star 3D
• Cuirassé Bretagne 3D
• SS Delphine 3D
29 septembre 2015 par Nicolas M.
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Au temps de la marine à voiles, une tradition séculaire voulait que l’article fasse partie intégrante du nom des navires de guerre français et qu’il soit accordé, en genre et en nombre, avec celui-ci. Dans la plupart des cas, cet article apparaissait ainsi sur la poupe des navires. On donnait, en règle générale, à un vaisseau ou à un brick un nom masculin, et à une frégate ou à une corvette un nom féminin : les vaisseaux le Soleil Royal, le Tonnant, le Redoutable ; les frégates la Minerve, la Furieuse, la Belle-Poule… Des exceptions, toutefois, existaient : les vaisseaux la Ville de Paris, la Bretagne, la République française ; les frégates le Muiron, le Rubis, le Rhin. A la fin de l’Ancien Régime puis pendant la Révolution, le pluriel fit également son apparition : les vaisseaux les Deux-Frères, les États de Bourgogne, les Droits de l’Homme.
Au milieu du XIXème siècle, l’article précédent les noms des bâtiments à vapeur fut supprimé mais conservé pour les navires à voiles puis, à la fin du Second Empire, les documents officiels abandonnèrent le vieil usage d’imprimer l’article en toutes circonstances. Dés lors, on n’écrivait et on ne disait plus, comme à l’époque de la marine ancienne, la frégate la Gloire mais le croiseur Gloire, précisément parce que l’article ne faisait plus partie intégrante du nom du bâtiment. Pour autant, suivant les règles élémentaires de la grammaire française, l’article placé devant le nom du navire dans une phrase s’accordait avec le substantif, par exemple : « Une immense foule vint assister au lancement de la Gloire. »
Il en fut ainsi, sans hésitation ni problème, jusqu’au début du XXème siècle. Durant la première décennie, lorsque l’armée commença à utiliser de grands dirigeables, certains navigateurs aériens et journalistes prirent l’habitude de les nommer « le » Patrie et « le » République, l’article « le » sous-entendant le ballon dirigeable. Cette pratique ne mit guère de temps à s’étendre aux navires. A cette époque en effet, la marine commanda une série de nouveaux cuirassés aux noms très symboliques de République, Patrie, Liberté, Démocratie, Justice et Vérité. Des noms féminins pour des cuirassés (type de navire du genre masculin)… Il n’en fallait pas plus pour que plusieurs grands quotidiens annoncent, en 1907, le lancement « du » Vérité et l’armement « du » Justice.
Dés lors, beaucoup prirent la mauvaise habitude de masculiniser systématiquement l’article placé devant le nom d’un bâtiment. Rapidement des voix s’élevèrent contre cette nouvelle pratique, jugée totalement « contraire à la philologie, à l’usage et à la raison. »
Des voix telles que celles des lecteurs de L’intermédiaire des chercheurs et des curieux qui discutèrent de cette question en 1907 et 1908 : « Ne semble-t-il pas que la langue du journalisme d’information s’écarte singulièrement des règles de la grammaire quand elle énonce : le Gloire, en désignant le croiseur de ce nom, et, le Patrie, pour parler du ballon dirigeable ainsi baptisé, Patrie et Gloire étant du genre féminin ? L’article masculin précédant ces deux noms sonne désagréablement à l’oreille. Le journaliste sous-entend les mots : croiseur et ballon, évidemment. Mais, écrire incorrectement pour semblable élision ! » Ou encore celle du jeune écrivain Maurice de Noisay, qui publia en 1909 une Lettre à MM. les directeurs des journaux nationalistes à propos d’un article défini, dans laquelle il s’étonna, lui aussi, que l’on se permit d’imprimer bizarrement « le République », pour désigner un dirigeable, et « le Vérité » ou « le Justice », pour désigner un cuirassé : « […] Car, si l’on veut prononcer le République – au masculin – parce que l’on sous-entend le dirigeable, autant vaudrait d’articuler le France, pour le pays de France, et le Garonne, sous prétexte qu’il est question d’un fleuve. »
Le ministre de la marine de l’époque, Gaston Thomson, réagit et déclara très simplement : « Le nom du bâtiment est inscrit à l’arrière sans être précédé d’aucun article et on peut lire : Patrie, République, Vérité. La correction, lorsqu’on désigne le nom, veut qu’on indique en même temps la classe du navire et qu’on dise, par exemple : « le cuirassé Justice« , « le contre-torpilleur Javeline« , etc. Dans le langage courant, on ne cite que le nom, mais on a le soin alors d’accorder l’article avec le substantif. On se garde de dire : « le Liberté« , « le Jeanne-d’Arc« , « le Marseillaise« , et on a grandement raison, car je ne sais rien de plus inélégant que ces interversions de genre et de sexe. » .......
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