Récit par Loïc Guermeur @CapHornier:
https://twitter.com/CapHornier_
Aujourd'hui nous allons parler d'un marin, artilleur, mais aussi pilote d'avion.
Cet homme a dit "non" dans des circonstances difficiles, et a rejoint les Forces Françaises Libres dans des circonstances rocambolesques.
Je vous présente le lieutenant de vaisseau Jubelin:
Retour à l'été 1940. Le LV Jubelin est chef de service Artillerie sur le croiseur Lamotte Picquet, basé en Indochine française.
L'équipage n'a pas combattu pendant le début du conflit, et apprend avec consternation la demande d'armistice de Pétain le 17 juin
Mais l'armistice, à l'équipage du "Lamotte", ça ne lui plait pas. Et dans les carrés et les bars, l'équipage commence à vouloir quitter l'Indochine, rejoindre la base britannique de Singapour pour continuer le combat et libérer le pays.
Mais le général Catroux, gouverneur général d'Indochine, puis l'amiral Decoux, son remplaçant restent loyaux au gouvernement Pétain.
Et le 30 juin, le commandant du Lamotte informe l'équipage que l'Indochine ne fera pas sécession! Stupeur à bord! Incompréhension et déprime !
Le soir, l'équipage se saoule, les permissionnaires font des histoires. on "veut faire quelque chose"... mais quoi?
Le lendemain, 1er juillet, l'atmosphère est à la mutinerie à bord du croiseur.
Le commandant en second , le capitaine de frégate Ducoroy, tente même d'imposer au CV Bérenger, le commandant, d'appareiller vers Singapour en violation des ordres. Tout l'équipage y est favorable.
Bérenger rassemble alors l'équipage pour une allocution :
"Notre mission est de défendre l'Indochine, si vous voulez partir pour Singapour, il faudra me jeter par dessus bord".
L'équipage réagit peu. Un "Vive le commandant" résonne mais l'esprit n'y est pas. L'équipage se sépare et beaucoup ne sont pas satisfaits...
Le quartier-maitre fusilier Chapuzot organise même une tentative de fuite par la terre. Mais partant seul, il sera fait prisonnier en Thailande, alors ennemie de la France.
Rappelons que l'Indo est alors dans une situation délicate avec la menace japonaise et la pression Thai.
2 juillet. Face à la fronde, Bérenger fait convoquer les officiers rétifs : Ducoroy (le second), Jubelin, et d'autres. Il leur demande de prêter allégeance et de rentrer dans le rang. Ils acceptent non sans mal mais sans conviction...
Le 3 juillet, c'est l'affaire de Mers El Kébir. La flotte britannique attaque la flotte française au port, faisant plus de 1000 morts.
C'est le revirement pour l'équipage stupéfait de cette attaque de l'ancien allié. "Pourquoi rejoindre les anglais qui nous attaquent désormais?"
Les esprits se calment, se résignent. Bérenger organise de nombreux exercices pour distraire son équipage et le maintenir soudé.
Mais le LV Jubelin, lui, ne l'entend pas de cette oreille, et fomente un plan pour rejoindre Singapour.
Il s'agit d'un Caudron Pélican, un monomoteur de tourisme doté d'une autonomie maximale de 600 km. De quoi faire à peine plus que Brest-Paris quand la distance de Singapour correspond à peu près à un Londres-Lisbonne.
Jubelin prévoit de s’échapper avec deux camarades, les lieutenants Jean Arnoux, polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, aviateur, et Louis Ducorps , né à Lorient (Morbihan), artilleur qui vient de passer son brevet civil
Pendant deux mois, Jubelin va stocker secrètement de l'essence, cachée sous des sacs de ciment. Ducorps parcourt 300 km dans la forêt le 3 novembre 1940
pour acheminer l'essence à un aérodrome désaffecté au Cambodge.
Décollage! Laissant derrière lui Saigon et ses camarades, Jubelin vole vers l'Ouest et le premier aérodrome où il récupérera Arnoux. Mais premier écueil : la carte de navigation est emportée par un coup de vent!
Mais se souvenant de l'itinéraire, Jubelin parvient sans mal à l'aérodrome où l'attend Arnoux et redécolle de suite vers le Cambodge.
Intelligemment, Jubelin a retardé son départ jusqu'à la mousson, et les vents le poussent vers sa destination.
Atterrissant au milieu des broussailles, l'avion est accueilli par la milice locale. Arnoux parvient à distraire le chef tandis que Jubelin charge le réservoir. Avec Ducorps, ils démontent les sièges et chargent les bidons d'essence, l'avion est en surcharge absolue...
Mais le chef milicien a repéré le petit manège. Jubelin le menace de son arme et les trois officiers peuvent partir.
Le Pelican démarre, accélère, se soulève enfin mais retombe... Trop lourd!
Finalement, le Pelican parvient à quitter la piste juste avant les arbres. ouf !
Alors qu'il vole au dessus des rizières, il faut ravitailler en plein vol...
A 150 km/h, Jubelin ouvre la porte latérale du coucou, sort dans le vide, le visage lacéré par le vent, tente d'atteindre le toit mais manque de tomber de l'avion....
Deuxième tentative. Ducorps, cette fois, harnaché à un filin, glisse, et reste suspendu un metre sous l'avion en plein vol! Jubelin incline l'avion, et Ducorps parvient à atteindre le train d'atterissage et remonte dans le cockpit, blême mais en vie...
Ducorps tente à nouveau, et parvient jusqu'au pare brise tant bien que mal, et rampe face au vent, jusqu'au bouchon du réservoir... Il parvient à vider l'essence, reboucher le réservoir et revenir jusqu'au cockpit.
Puis, au dessus de la mer, c'est alors que le pare brise se couvre d'huile! Le moteur chauffe dangereusement! Mais rentrant dans un orage tropical, l'eau de pluie refroidit le moteur qui repart...
Pendant une heure, le pauvre avion est sévèrement balloté par l'orage et perd de l'altitude. Mais la chance sourit à nouveau à l'équipage qui trouve une percée dans les nuages et la terre ferme de la Malaisie Britannique se dévoile à eux !
Enfin en territoire ami, Jubelin et ses acolytes rallient l'Angleterre et les Forces Françaises Libres.
A Londres, malgré ses demandes pour intégrer l'aviation, Jubelin fut désigné commandant du vieux cuirassé Courbet, avant finalement de voler sur Spitfire.
Détaché à la Royal Air Force en avril 42, Jubelin mena 72 missions de jour et de nuit jusqu'en aout 42 avant de reprendre la mer à bord de l’aviso Savorgnan de Brazza puis du croiseur léger des Forces navales Françaises Libres, le Triomphant.
Louis Ducorps lui décèdera le 6 juin 1943 aux commandes de son Mosquito, qui est sorti de la piste et s’est écrasé en flammes.
A la fin de la guerre, Jubelin retourne en Indochine, là où il a été condamné à mort par contumace pour désertion et participe aux combats contre les indépendantistes d'Ho Chi Minh.
Nommé amiral en 1963 après une brillante carrière, il quitte le service actif en 1967, titulaire de la croix de guerre 39-45 avec 10 citations, Grand Croix de la Légion d'Honneur, médaille de la résistance, etc.
Deux ouvrages entre autres pour ce thread. les mémoires de l'amiral Jubelin lui même "Marin de métier, pilote de fortune", que je vous conseille, passionnant, ainsi que "Les oubliés du bout du monde" du CA Romé.
Ce thread s'achève
Bon weekend.
Ajout de ma part:
En 1948, le capitaine de vaisseau Jubelin commande le porte-avions Arromanches.
Dès 1954, l’amiral Jubelin devient l’un des premiers pilotes d’hélicoptères français en obtenant son brevet de pilote aux États-Unis auprès de Sikorsky.
_________________
Pascal.
Projets en cours:
• Caboteur Blythe Star 3D
• Cuirassé Bretagne 3D
• SS Delphine 3D
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Aujourd'hui nous allons parler d'un marin, artilleur, mais aussi pilote d'avion.
Cet homme a dit "non" dans des circonstances difficiles, et a rejoint les Forces Françaises Libres dans des circonstances rocambolesques.
Je vous présente le lieutenant de vaisseau Jubelin:
Retour à l'été 1940. Le LV Jubelin est chef de service Artillerie sur le croiseur Lamotte Picquet, basé en Indochine française.
L'équipage n'a pas combattu pendant le début du conflit, et apprend avec consternation la demande d'armistice de Pétain le 17 juin
Mais l'armistice, à l'équipage du "Lamotte", ça ne lui plait pas. Et dans les carrés et les bars, l'équipage commence à vouloir quitter l'Indochine, rejoindre la base britannique de Singapour pour continuer le combat et libérer le pays.
Mais le général Catroux, gouverneur général d'Indochine, puis l'amiral Decoux, son remplaçant restent loyaux au gouvernement Pétain.
Et le 30 juin, le commandant du Lamotte informe l'équipage que l'Indochine ne fera pas sécession! Stupeur à bord! Incompréhension et déprime !
Le soir, l'équipage se saoule, les permissionnaires font des histoires. on "veut faire quelque chose"... mais quoi?
Le lendemain, 1er juillet, l'atmosphère est à la mutinerie à bord du croiseur.
Le commandant en second , le capitaine de frégate Ducoroy, tente même d'imposer au CV Bérenger, le commandant, d'appareiller vers Singapour en violation des ordres. Tout l'équipage y est favorable.
Bérenger rassemble alors l'équipage pour une allocution :
"Notre mission est de défendre l'Indochine, si vous voulez partir pour Singapour, il faudra me jeter par dessus bord".
L'équipage réagit peu. Un "Vive le commandant" résonne mais l'esprit n'y est pas. L'équipage se sépare et beaucoup ne sont pas satisfaits...
Le quartier-maitre fusilier Chapuzot organise même une tentative de fuite par la terre. Mais partant seul, il sera fait prisonnier en Thailande, alors ennemie de la France.
Rappelons que l'Indo est alors dans une situation délicate avec la menace japonaise et la pression Thai.
2 juillet. Face à la fronde, Bérenger fait convoquer les officiers rétifs : Ducoroy (le second), Jubelin, et d'autres. Il leur demande de prêter allégeance et de rentrer dans le rang. Ils acceptent non sans mal mais sans conviction...
Le 3 juillet, c'est l'affaire de Mers El Kébir. La flotte britannique attaque la flotte française au port, faisant plus de 1000 morts.
C'est le revirement pour l'équipage stupéfait de cette attaque de l'ancien allié. "Pourquoi rejoindre les anglais qui nous attaquent désormais?"
Les esprits se calment, se résignent. Bérenger organise de nombreux exercices pour distraire son équipage et le maintenir soudé.
Mais le LV Jubelin, lui, ne l'entend pas de cette oreille, et fomente un plan pour rejoindre Singapour.
Il s'agit d'un Caudron Pélican, un monomoteur de tourisme doté d'une autonomie maximale de 600 km. De quoi faire à peine plus que Brest-Paris quand la distance de Singapour correspond à peu près à un Londres-Lisbonne.
Jubelin prévoit de s’échapper avec deux camarades, les lieutenants Jean Arnoux, polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, aviateur, et Louis Ducorps , né à Lorient (Morbihan), artilleur qui vient de passer son brevet civil
Pendant deux mois, Jubelin va stocker secrètement de l'essence, cachée sous des sacs de ciment. Ducorps parcourt 300 km dans la forêt le 3 novembre 1940
pour acheminer l'essence à un aérodrome désaffecté au Cambodge.
Décollage! Laissant derrière lui Saigon et ses camarades, Jubelin vole vers l'Ouest et le premier aérodrome où il récupérera Arnoux. Mais premier écueil : la carte de navigation est emportée par un coup de vent!
Mais se souvenant de l'itinéraire, Jubelin parvient sans mal à l'aérodrome où l'attend Arnoux et redécolle de suite vers le Cambodge.
Intelligemment, Jubelin a retardé son départ jusqu'à la mousson, et les vents le poussent vers sa destination.
Atterrissant au milieu des broussailles, l'avion est accueilli par la milice locale. Arnoux parvient à distraire le chef tandis que Jubelin charge le réservoir. Avec Ducorps, ils démontent les sièges et chargent les bidons d'essence, l'avion est en surcharge absolue...
Mais le chef milicien a repéré le petit manège. Jubelin le menace de son arme et les trois officiers peuvent partir.
Le Pelican démarre, accélère, se soulève enfin mais retombe... Trop lourd!
Finalement, le Pelican parvient à quitter la piste juste avant les arbres. ouf !
Alors qu'il vole au dessus des rizières, il faut ravitailler en plein vol...
A 150 km/h, Jubelin ouvre la porte latérale du coucou, sort dans le vide, le visage lacéré par le vent, tente d'atteindre le toit mais manque de tomber de l'avion....
Deuxième tentative. Ducorps, cette fois, harnaché à un filin, glisse, et reste suspendu un metre sous l'avion en plein vol! Jubelin incline l'avion, et Ducorps parvient à atteindre le train d'atterissage et remonte dans le cockpit, blême mais en vie...
Ducorps tente à nouveau, et parvient jusqu'au pare brise tant bien que mal, et rampe face au vent, jusqu'au bouchon du réservoir... Il parvient à vider l'essence, reboucher le réservoir et revenir jusqu'au cockpit.
Puis, au dessus de la mer, c'est alors que le pare brise se couvre d'huile! Le moteur chauffe dangereusement! Mais rentrant dans un orage tropical, l'eau de pluie refroidit le moteur qui repart...
Pendant une heure, le pauvre avion est sévèrement balloté par l'orage et perd de l'altitude. Mais la chance sourit à nouveau à l'équipage qui trouve une percée dans les nuages et la terre ferme de la Malaisie Britannique se dévoile à eux !
Enfin en territoire ami, Jubelin et ses acolytes rallient l'Angleterre et les Forces Françaises Libres.
A Londres, malgré ses demandes pour intégrer l'aviation, Jubelin fut désigné commandant du vieux cuirassé Courbet, avant finalement de voler sur Spitfire.
Détaché à la Royal Air Force en avril 42, Jubelin mena 72 missions de jour et de nuit jusqu'en aout 42 avant de reprendre la mer à bord de l’aviso Savorgnan de Brazza puis du croiseur léger des Forces navales Françaises Libres, le Triomphant.
Louis Ducorps lui décèdera le 6 juin 1943 aux commandes de son Mosquito, qui est sorti de la piste et s’est écrasé en flammes.
A la fin de la guerre, Jubelin retourne en Indochine, là où il a été condamné à mort par contumace pour désertion et participe aux combats contre les indépendantistes d'Ho Chi Minh.
Nommé amiral en 1963 après une brillante carrière, il quitte le service actif en 1967, titulaire de la croix de guerre 39-45 avec 10 citations, Grand Croix de la Légion d'Honneur, médaille de la résistance, etc.
Deux ouvrages entre autres pour ce thread. les mémoires de l'amiral Jubelin lui même "Marin de métier, pilote de fortune", que je vous conseille, passionnant, ainsi que "Les oubliés du bout du monde" du CA Romé.
Ce thread s'achève
Bon weekend.
Ajout de ma part:
En 1948, le capitaine de vaisseau Jubelin commande le porte-avions Arromanches.
Dès 1954, l’amiral Jubelin devient l’un des premiers pilotes d’hélicoptères français en obtenant son brevet de pilote aux États-Unis auprès de Sikorsky.
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Pascal.
Projets en cours:
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