Parachevons notre passage par la Révolution par le symbole suprême. Ames sensibles s'abstenir.
Ce titre - anodin - me paraît préférable à celui que pourrait suggérer l'instrument principal de cette présentation. Le "rasoir national", "la veuve", le "moulin à silence, la "cravate à Capet", la "bascule à Charlot" et d'autres encore que j'oublie, sont des expressions émanant de l'inépuisable humour macabre des sans-culottes. Je n'ai pas voulu les emprunter. Si notre histoire moderne et notre régime politique sont fondés sur quelques uns des principes de cette période, l'image qu'on retient avant tout de la Révolution française est celle, sinistre, de ces bois de mort, intentionnellement surélevés, afin que nul n'en ignore la menace. Il est curieux que ce symbole mortifère soit celui qui ait été choisi par ceux qui s'érigeaient en farouches défenseurs de la liberté et des Droites de l'Homme.
L'échafaud dressé place de la Révolution: le peuple a faim, on lui offre des têtes... (Photo série initiale)
Avec cette plaquette de 0,645m x 0,400m, nous sommes à Paris, Place de la Révolution, (actuelle Concorde), le 3 Floréal An II (22 avril 1794). Comme la plupart des noms qui sont fictifs (sauf ceux de la fin de ce texte), la date est prise au hasard mais dans une période bien réelle de notre histoire.
Je pense que je ne vous apprendrai rien, je me bornerai à quelques rappels. Mais, dans la mesure où il y avait déjà longtemps que j'avais envie d'aborder un thème de cette époque, sachez que je me suis fait plaisir en réalisant cette scène.
Sur cette place, ci-devant Royale, la guillotine se dresse face au piédestal de l'ancienne statue du Roi... précédent. La statue, comme la monarchie, a été renversée. Il ne reste que le socle, le peuple, tout un symbole.
Une image qui donnait le frisson: pourquoi des régimes démocratiques ont-ils besoin d'avoir recours à la terreur?
Apportons quelques précisions sur le contexte de la scène. Depuis 1791, en matière criminelle, la peine capitale est appliquée par décapitation uniquement, dans un souci d'égalité, après le vote de l'Assemblée Nationale Constituante sur proposition du Docteur Guillotin. Cela, tout le monde le sait. Mais, à la fin de la même année, la guillotine ou "machine" est définitivement prête. Elle a été fabriquée par Tobias Schmidt, facteur de clavecins (ah bon!) d'origine prussienne (eh oui!), après les mises au point techniques du Docteur Louis, de l'Académie de Chirurgie et les conseils de Charles Henri Sanson , le bourreau.
Pour la mise au point de la guillotine, peut-on imaginer meilleur 'conseiller technique" que Charles Henri Sanson, titulaire de la charge, père d'Henri officiant ici.
Soumises aux caprices de la météo, les exécutions sont suspendues par temps de pluie (ou interrompues par un orage imprévu). La guillotine est alors bâchée de même que la nuit. Pour ceux qui s'étonneraient de la lourdeur de l'échafaud supportant la guillotine, il faut savoir que le montage se doit d'être solide, et exempt de jeu, de vibrations ou d'oscillations, un
vrai challenge pour les charpentiers. En effet, encore rudimentaire, le couperet doit glisser entre deux glissières creusées dans le bois des deux montants. Les garnitures métalliques des glissières, ajustées et lubrifiées, ne viendront que beaucoup plus tard. Le bois est enduit de suif, seul 'lubrifiant" disponible et il faut donc que la masselotte d'environ 35 kg (plus le couperet:
8 kg à lui tout seul), chute sans frein ni obstacle, ce que des vibrations parasites ou des oscillations pourraient provoquer, faisant ainsi rater l'exécution.
Un échafaud ultra-solide dont la lourdeur assure la stabilité, condition essentielle du bon fonctionnement de la "machine".
Dans ce décor du pavé de la Place ci-devant Royale, aménagée par l'architecte Gabriel à la demande de Louis XV pour l'offrir aux Parisiens, le socle tronqué qu'on voit à un bord est celui d'une statue équestre du Roi, renversée par les patriotes et envoyée à la fonderie pour en récupérer le bronze. Il m'a fallu tricher dans la mise en place. L'espace entre ce socle et l'échafaud a été considérablement réduit en raison de l'échelle des figurines au 1/32e: le respect intégral des distances aurait nécessité une plaquette de plus de 4 mètres de long, ce qui est évidemment inconcevable.
L'espace entre le socle et l'échafaud a été volontairement réduit: tricherie nécessaire pour éviter une plaquette hors normes.
La réduction de l'espace est encore plus saisissante sous cet angle.
Maintenant, un petit retour sur notre Histoire pour le contexte et l'ambiance de l'époque. Nous ne sommes pas encore à la Grande Terreur mais elle s'annonce pour bientôt au rythme des lois et des décrets de la Convention Nationale. Les amis d'hier sont aujourd'hui devenus des suspects, demain des ennemis de la Révolution ou de la Liberté et traînés au sacrifice. La Révolution se dévore elle-même. Après les Girondins, politiquement abattus et en grande partie éliminés, est venu le tour des hébertistes et des chefs Cordeliers, dont Camille Desmoulins, avec celui de Danton, exécutés sur cette même place il y a dix-sept jours à peine.
Le Roi, le Reine, bien sûr, mais tant d'autres têtes illustres sont tombées dans le panier de Sanson, même celle de Danton qui appellera sous peu celle de Robespierre. Justice ?
La jeune République est attaquée de toutes parts. L'Autriche, bien sûr, en raison des liens familiaux des dynasties, l'Electorat de Hanovre, les Provinces Unies (actuels Pays-Bas), le Piémont-Sardaigne, l'Espagne, la Prusse et l'inévitable Angleterre, sur terre à Hondschoote et à Toulon et sur mer, par le blocus de tous nos ports en Méditerranée comme en Atlantique et en Manche. La situation est grave. On a déclaré "la Patrie en danger".
Les soldats de la Révolution ont le ventre vide. Ils sont parfois pieds nus et dépenaillés mais ils ne manquent pas de vaillance et souvent s'élancent en désordre en dépit des consignes. L'Assemblée révolutionnaire frappe les chefs défaillants. Malheur à qui est vaincu ou accusé de mollesse ou simplement de maladresse en raison de l'indiscipline de sa troupe: il joue sa tête.
A la guerre, la Convention ne reconnaît que deux issues: la victoire ou la mort et c'était écrit sur les drapeaux. Celui-ci aura connu la mort, mais pas au feu...
La désorganisation révolutionnaire affecte aussi les campagnes. Les récoltes sont abandonnées et pourrissent sur pied, l'approvisionnement des villes se tarit, la disette s'installe malgré les lois sur le "Maximum", les décrets menaçants contre les accapareurs et spéculateurs de tout poils. Des queues interminables, le plus souvent en vain, se forment devant les magasins d'alimentation, insuffisamment approvisionnés ou carrément vides. On peut vendre des stocks épuisés. Le peuple a faim et commence à gronder et le Comité de Salut Public le sait car il l'entend.
A situation d'exception, mesures d'exception. D'autant plus qu'aux envahisseurs étrangers s'ajoutent les ennemis de l'intérieur. Le Midi royaliste s'est révolté et a livré Toulon, sa rade et une partie de la flotte à l'Angleterre (qui va incendier l'Arsenal), le Sud-Ouest royaliste a fait cause commune avec les Fédéralistes Girondins à Bordeaux contre la Convention, tout comme à Lyon, en provoquant des révoltes et des assassinats de conventionnels. Ces révoltes sont néanmoins matées. L'insurrection vendéenne, qui, appellera bientôt l'Angleterre à l'aide, a soulevé la plus grande partie de l'Ouest, immobilisant des forces armées importantes qui manquent aux frontières.
(à suivre)...
Armand dit gribeauval83
Ce titre - anodin - me paraît préférable à celui que pourrait suggérer l'instrument principal de cette présentation. Le "rasoir national", "la veuve", le "moulin à silence, la "cravate à Capet", la "bascule à Charlot" et d'autres encore que j'oublie, sont des expressions émanant de l'inépuisable humour macabre des sans-culottes. Je n'ai pas voulu les emprunter. Si notre histoire moderne et notre régime politique sont fondés sur quelques uns des principes de cette période, l'image qu'on retient avant tout de la Révolution française est celle, sinistre, de ces bois de mort, intentionnellement surélevés, afin que nul n'en ignore la menace. Il est curieux que ce symbole mortifère soit celui qui ait été choisi par ceux qui s'érigeaient en farouches défenseurs de la liberté et des Droites de l'Homme.
L'échafaud dressé place de la Révolution: le peuple a faim, on lui offre des têtes... (Photo série initiale)
Avec cette plaquette de 0,645m x 0,400m, nous sommes à Paris, Place de la Révolution, (actuelle Concorde), le 3 Floréal An II (22 avril 1794). Comme la plupart des noms qui sont fictifs (sauf ceux de la fin de ce texte), la date est prise au hasard mais dans une période bien réelle de notre histoire.
Je pense que je ne vous apprendrai rien, je me bornerai à quelques rappels. Mais, dans la mesure où il y avait déjà longtemps que j'avais envie d'aborder un thème de cette époque, sachez que je me suis fait plaisir en réalisant cette scène.
Sur cette place, ci-devant Royale, la guillotine se dresse face au piédestal de l'ancienne statue du Roi... précédent. La statue, comme la monarchie, a été renversée. Il ne reste que le socle, le peuple, tout un symbole.
Une image qui donnait le frisson: pourquoi des régimes démocratiques ont-ils besoin d'avoir recours à la terreur?
Apportons quelques précisions sur le contexte de la scène. Depuis 1791, en matière criminelle, la peine capitale est appliquée par décapitation uniquement, dans un souci d'égalité, après le vote de l'Assemblée Nationale Constituante sur proposition du Docteur Guillotin. Cela, tout le monde le sait. Mais, à la fin de la même année, la guillotine ou "machine" est définitivement prête. Elle a été fabriquée par Tobias Schmidt, facteur de clavecins (ah bon!) d'origine prussienne (eh oui!), après les mises au point techniques du Docteur Louis, de l'Académie de Chirurgie et les conseils de Charles Henri Sanson , le bourreau.
Pour la mise au point de la guillotine, peut-on imaginer meilleur 'conseiller technique" que Charles Henri Sanson, titulaire de la charge, père d'Henri officiant ici.
Soumises aux caprices de la météo, les exécutions sont suspendues par temps de pluie (ou interrompues par un orage imprévu). La guillotine est alors bâchée de même que la nuit. Pour ceux qui s'étonneraient de la lourdeur de l'échafaud supportant la guillotine, il faut savoir que le montage se doit d'être solide, et exempt de jeu, de vibrations ou d'oscillations, un
vrai challenge pour les charpentiers. En effet, encore rudimentaire, le couperet doit glisser entre deux glissières creusées dans le bois des deux montants. Les garnitures métalliques des glissières, ajustées et lubrifiées, ne viendront que beaucoup plus tard. Le bois est enduit de suif, seul 'lubrifiant" disponible et il faut donc que la masselotte d'environ 35 kg (plus le couperet:
8 kg à lui tout seul), chute sans frein ni obstacle, ce que des vibrations parasites ou des oscillations pourraient provoquer, faisant ainsi rater l'exécution.
Un échafaud ultra-solide dont la lourdeur assure la stabilité, condition essentielle du bon fonctionnement de la "machine".
Dans ce décor du pavé de la Place ci-devant Royale, aménagée par l'architecte Gabriel à la demande de Louis XV pour l'offrir aux Parisiens, le socle tronqué qu'on voit à un bord est celui d'une statue équestre du Roi, renversée par les patriotes et envoyée à la fonderie pour en récupérer le bronze. Il m'a fallu tricher dans la mise en place. L'espace entre ce socle et l'échafaud a été considérablement réduit en raison de l'échelle des figurines au 1/32e: le respect intégral des distances aurait nécessité une plaquette de plus de 4 mètres de long, ce qui est évidemment inconcevable.
L'espace entre le socle et l'échafaud a été volontairement réduit: tricherie nécessaire pour éviter une plaquette hors normes.
La réduction de l'espace est encore plus saisissante sous cet angle.
Maintenant, un petit retour sur notre Histoire pour le contexte et l'ambiance de l'époque. Nous ne sommes pas encore à la Grande Terreur mais elle s'annonce pour bientôt au rythme des lois et des décrets de la Convention Nationale. Les amis d'hier sont aujourd'hui devenus des suspects, demain des ennemis de la Révolution ou de la Liberté et traînés au sacrifice. La Révolution se dévore elle-même. Après les Girondins, politiquement abattus et en grande partie éliminés, est venu le tour des hébertistes et des chefs Cordeliers, dont Camille Desmoulins, avec celui de Danton, exécutés sur cette même place il y a dix-sept jours à peine.
Le Roi, le Reine, bien sûr, mais tant d'autres têtes illustres sont tombées dans le panier de Sanson, même celle de Danton qui appellera sous peu celle de Robespierre. Justice ?
La jeune République est attaquée de toutes parts. L'Autriche, bien sûr, en raison des liens familiaux des dynasties, l'Electorat de Hanovre, les Provinces Unies (actuels Pays-Bas), le Piémont-Sardaigne, l'Espagne, la Prusse et l'inévitable Angleterre, sur terre à Hondschoote et à Toulon et sur mer, par le blocus de tous nos ports en Méditerranée comme en Atlantique et en Manche. La situation est grave. On a déclaré "la Patrie en danger".
Les soldats de la Révolution ont le ventre vide. Ils sont parfois pieds nus et dépenaillés mais ils ne manquent pas de vaillance et souvent s'élancent en désordre en dépit des consignes. L'Assemblée révolutionnaire frappe les chefs défaillants. Malheur à qui est vaincu ou accusé de mollesse ou simplement de maladresse en raison de l'indiscipline de sa troupe: il joue sa tête.
A la guerre, la Convention ne reconnaît que deux issues: la victoire ou la mort et c'était écrit sur les drapeaux. Celui-ci aura connu la mort, mais pas au feu...
La désorganisation révolutionnaire affecte aussi les campagnes. Les récoltes sont abandonnées et pourrissent sur pied, l'approvisionnement des villes se tarit, la disette s'installe malgré les lois sur le "Maximum", les décrets menaçants contre les accapareurs et spéculateurs de tout poils. Des queues interminables, le plus souvent en vain, se forment devant les magasins d'alimentation, insuffisamment approvisionnés ou carrément vides. On peut vendre des stocks épuisés. Le peuple a faim et commence à gronder et le Comité de Salut Public le sait car il l'entend.
A situation d'exception, mesures d'exception. D'autant plus qu'aux envahisseurs étrangers s'ajoutent les ennemis de l'intérieur. Le Midi royaliste s'est révolté et a livré Toulon, sa rade et une partie de la flotte à l'Angleterre (qui va incendier l'Arsenal), le Sud-Ouest royaliste a fait cause commune avec les Fédéralistes Girondins à Bordeaux contre la Convention, tout comme à Lyon, en provoquant des révoltes et des assassinats de conventionnels. Ces révoltes sont néanmoins matées. L'insurrection vendéenne, qui, appellera bientôt l'Angleterre à l'aide, a soulevé la plus grande partie de l'Ouest, immobilisant des forces armées importantes qui manquent aux frontières.
(à suivre)...
Armand dit gribeauval83