Les cinq évasions du Capitaine de Gaulle
Alain LEBOUGRE
Les cinq évasions du capitaine de Gaulle, Espoir n°123, 2000
1916 :
Dans la mémoire collective, en Allemagne comme en France, c'est l'année de l'« enfer » de Verdun. La plus grande bataille de la guerre 1914-1918 pour les Allemands et les Français : 240.000 morts d'un côté, 260.000 de l'autre. Elle débute le 21 février par une formidable offensive allemande sur la rive droite de la Meuse. Un ouragan de fer et de feu s'abat aussitôt sur les défenses de Verdun.
Le 1er mars 1916, le 33e régiment d'infanterie auquel le capitaine de Gaulle appartient, est envoyé en première ligne devant Douaumont. A la tête de sa compagnie, la 10e, il est chargé de la défense de la partie gauche du village. Pour la journée du 2 mars, voici ce qu'écrit son colonel dans le journal de marche du régiment: «Dès 6 h 30 du matin, bombardement effroyable d'artillerie lourde... sur toute la largeur du secteur et sur une profondeur de trois kilomètres. La terre tremble sans interruption, le fracas est inouï. Toute liaison vers l'avant comme vers l'arrière est impossible, tout téléphone est coupé, tout agent de liaison envoyé est un homme mort... Le dernier me revenait blessé, me disant que les Allemands sont à vingt mètres de nous, sur le chemin de Douaumont à Fleury. Revolver au poing, nous nous préparons à défendre coûte que coûte cette voie d'accès.
Le fort de Douaumont au loin 1916
La 10e compagnie ne compte plus que trente-sept hommes quand se déclenche une première attaque. Elle y fait front et repousse les assaillants. D'autres reviennent à la charge. Nouveau bombardement. Les rescapés de la 10e compagnie sont complètement isolés. Progressant tantôt par bonds, tantôt en rampant, ils sont bientôt submergés. L'ennemi est partout. De Gaulle roule dans un trou d'obus occupé par quelques Allemands. L'un d'eux lui porte un coup de baïonnette. La lame pénètre « au tiers supérieur de la cuisse gauche pour ressortir au tiers moyen de l'autre côté ». Sa troisième blessure depuis le début de la guerre. Il tombe aussitôt évanoui.
Côté français, il est porté disparu. Son colonel le tient pour mort. La citation accompagnant sa proposition pour la Légion d'honneur est rédigée par Pétain : « Le capitaine de Gaulle, commandant de compagnie, réputé pour sa haute valeur intellectuelle et morale, alors que son bataillon subissait un effroyable bombardement, était décimé et que les Allemands atteignaient sa compagnie de tous côtés, a enlevé ses hommes dans un assaut furieux et un corps à corps farouche, seule solution qu'il jugeait compatible avec son sentiment de l'honneur militaire. Est tombé dans la mêlée. Officier hors de pair à tous égard ».
Lorsqu'il revient à lui, de Gaulle, bien vivant, se trouve « au milieu de jeunes troupiers hagards de la garde prussienne ». Il est désormais prisonnier de guerre. Il est d'abord envoyé à l'hôpital de Mayence pour y être soigné. A peine remis, il est transféré à Osnabrück en Westphalie où, dès son arrivée, il imagine descendre le Danube en barque Les Allemands ont vent du projet. Le 14 juin 1916, ils l'expédient au camp de transit de Neisse en Silésie. Puis, deux jours plus tard, à Sczuszyn en Lituanie. Là, il tente à nouveau de s'échapper, mais le trou qu'il a commencé de percer dans le mur de sa chambrée est découvert. Ce qui lui vaut d'être expédié, le 9 octobre 1916, à Ingolstadt en Bavière, où les Allemands avaient imaginé de rassembler dans le même camp toutes les fortes tètes dont l'idée fixe était de leur fausser compagnie ! Ainsi, les officiers français les plus récalcitrants pouvaient-ils mettre en commun leurs expériences. Bref, créer ce que les Allemands eux-mêmes appelleront une « Académie d'évasion ». De Gaulle, comme on va pouvoir en juger, se distinguera particulièrement dans cette entreprise...
Malade imaginaire à l'hôpital d'Ingolstadt
Les défenses naturelles du fort d'Ingolstadt, renforcées par une garde et un régime exceptionnellement sévères, interdisaient toute tentative d'évasion. En revanche, une annexe de l'hôpital militaire de la garnison, situé dans la ville même d'Ingolstadt, à huit kilomètres de là, était affectée aux prisonniers de guerre. Pour surveillée qu'elle fût, elle semblait cependant offrir de plus grandes chances de s'évader. De Gaulle résolut donc de s'y faire envoyer.
Il avait reçu de sa mère un colis de vivres dans lequel avait été glissé un flacon d'acide picrique, officiellement destiné à soigner des engelures. Il en avale sans hésiter le contenu, pourtant fortement toxique ! L'effet recherché est quasi immédiat. Le lendemain, 17 octobre 1916, il présente tous les symptômes de la jaunisse. On l'expédie à l'annexe de l'hôpital.
Mais comment s'échapper? De Gaulle procède discrètement à un examen minutieux des lieux. Il remarque vite que si l'annexe réservée aux prisonniers est sévèrement gardée, l'hôpital ne l'est pas. Et qu'il y a de nombreuses allées et venues de civils rendant visite aux blessés qui y sont soignés. Il constate également que des prisonniers accompagnés par des infirmiers allemands sont régulièrement conduits de l'annexe à l'hôpital pour y recevoir des soins. Les sentinelles, accoutumées à ce va-et-vient, n'y prêtent plus guère attention.
Voilà la faille ! De Gaulle a désormais son plan : se faire conduire à l'hôpital par un camarade déguisé en infirmier, troquer ensuite leurs tenues militaires pour des effets civils, et sortir de l'hôpital en se mêlant aux visiteurs.
Il faut un complice. Ce sera le capitaine Émile Dupret, animé, dira-t-il plus tard, « des mêmes intentions que moi ». Il faut aussi un uniforme allemand...
Corruption et chantage
Deux infirmiers allemands étaient chargés des prisonniers. La fin justifiant les moyens, de Gaulle décide de corrompre le plus accessible des deux. Il commence par lui acheter toute sorte d'objets interdits aux prisonniers : alcool, timbres-poste, etc. [homme se laissant amadouer, de Gaulle lui arrache, toujours moyennant finances, une carte de la région. L'infirmier est désormais à sa merci. Après la corruption, le chantage ! De Gaulle somme en effet le malheureux, sous peine d'être aussitôt dénoncé, et donc d'être traduit à coup sûr en Conseil de guerre, de lui acheter en ville une casquette militaire et de... lui céder son pantalon !
Voilà pour l'uniforme allemand. Mais une fois dans l'enceinte de l'hôpital, il faut pouvoir se transformer en civils...
De Gaulle, toujours à l'affût du moindre indice, avait observé qu'un soldat français, électricien de son état, allait chaque jour de l'annexe à l'hôpital où il travaillait. Interrogé, le soldat lui apprend que les Allemands ont mis à sa disposition, dans la cour de l'hôpital, une cabane qui lui sert d'atelier et dont il est le seul à avoir la clef. Providentiel !
De Gaulle a tôt fait de s'assurer de sa complicité. Au risque des plus sévères sanctions, le courageux soldat va transporter dans l'atelier, pièce par pièce, les effets civils et les vivres que les deux candidats à l'évasion se procurent auprès de leurs compagnons de captivité mis dans la confidence.
le fort IX d'Ingolstadt
Mine patibulaire
Le départ est fixé au dimanche 29 octobre 1916, parce que le dimanche, les allées et venues sont particulièrement nombreuses à l'hôpital. A la nuit tombante, Dupret revêt la casquette et le pantalon allemands et passe une grande blouse d'infirmier. De Gaulle conserve sa tenue réglementaire. Ils franchissent le poste de garde de l'annexe sans éveiller l'attention des sentinelles et pénètrent dans l'enceinte de l'hôpital. Là, munis de la clef du soldat électricien, ils se glissent dans l'atelier. Bientôt habillés en civils, ils se mêlent aux visiteurs et sortent de l'hôpital le plus paisiblement du monde. Les voilà en ville, libres !
Leur projet était de gagner à pied l'enclave suisse de Schaffhouse située à 300 kilomètres, en prenant la précaution de ne marcher que la nuit, demeurant le jour cachés dans les bois. Hélas, il pleut sans discontinuer. Le 5 novembre, vers 21 h 30, ils atteignent Pfaffenhofen, grosse bourgade à une trentaine de kilomètres d'Ulm, ayant parcouru les deux tiers de leur route. Mais c'était un dimanche. Les rues qui auraient dû être désertes sont pleines de monde : «En arrivant sur la place centrale, nous nous trouvâmes au milieu de la jeunesse du bourg qui polissonnait dans la rue. Une semaine de vie sauvage nous avait donné une mine patibulaire qui fut aussitôt remarquée. La foule nous poursuivit, bientôt rejointe par le garde-champêtre à bicyclette et par des gendarmes en permission. Arrêtés, nous fûmes conduits au violon municipal où l'on n'eut pas de peine à découvrir notre identité. » Quelques jours plus tard, ils sont jetés dans les oubliettes du fort IX d'Ingolstadt.
Pour s'être évadés, de Gaulle et Dupret écopent en effet de soixante jours d'arrêts de rigueur : « fenêtres closes par volets métalliques, pas de lumière, régime alimentaire spécial, rien pour lire, ni pour écrire, une demi-heure de promenade par jour dans une cour de cent mètres carrés ».
Ce que de Gaulle ignore en revanche, et que révèlent les archives allemandes récemment découvertes, c'est que son évasion a été à l'origine d'un grave différend entre les médecins de l'hôpital et les autorités du fort, chacun se renvoyant la responsabilité de la fuite des prisonniers, et s'accusant mutuellement de n'avoir pu empêcher qu'ils se procurent des habits civils. La Discorde chez l'ennemi avant l'heure, en quelque sorte !
Vous avez dit « sagesse » ?
Mais le fort d'Ingolstadt n'était vraiment pas propice à l'évasion. De Gaulle se résigne donc à ne rien tenter pendant quelque temps dans l'espoir d'être transféré dans un camp moins sévère. « Stage de sagesse », dira-t-il plus tard. Sage, de Gaulle? En apparence, peut-être, puisque cela fait partie du plan. Mais chaque matin, il dépouille les journaux allemands, cherche dans les bulletins quotidiens de victoire de l'ennemi les traces à peine perceptibles de la discorde – encore ! étudiant les défauts de la cuirasse germanique. Puis il rédige des notes de synthèse, véritables bulletins d'informations qu'il affiche à la porte de sa chambrée !
(...)
A suivre....
Alain LEBOUGRE
Les cinq évasions du capitaine de Gaulle, Espoir n°123, 2000
1916 :
Dans la mémoire collective, en Allemagne comme en France, c'est l'année de l'« enfer » de Verdun. La plus grande bataille de la guerre 1914-1918 pour les Allemands et les Français : 240.000 morts d'un côté, 260.000 de l'autre. Elle débute le 21 février par une formidable offensive allemande sur la rive droite de la Meuse. Un ouragan de fer et de feu s'abat aussitôt sur les défenses de Verdun.
Le 1er mars 1916, le 33e régiment d'infanterie auquel le capitaine de Gaulle appartient, est envoyé en première ligne devant Douaumont. A la tête de sa compagnie, la 10e, il est chargé de la défense de la partie gauche du village. Pour la journée du 2 mars, voici ce qu'écrit son colonel dans le journal de marche du régiment: «Dès 6 h 30 du matin, bombardement effroyable d'artillerie lourde... sur toute la largeur du secteur et sur une profondeur de trois kilomètres. La terre tremble sans interruption, le fracas est inouï. Toute liaison vers l'avant comme vers l'arrière est impossible, tout téléphone est coupé, tout agent de liaison envoyé est un homme mort... Le dernier me revenait blessé, me disant que les Allemands sont à vingt mètres de nous, sur le chemin de Douaumont à Fleury. Revolver au poing, nous nous préparons à défendre coûte que coûte cette voie d'accès.
Le fort de Douaumont au loin 1916
La 10e compagnie ne compte plus que trente-sept hommes quand se déclenche une première attaque. Elle y fait front et repousse les assaillants. D'autres reviennent à la charge. Nouveau bombardement. Les rescapés de la 10e compagnie sont complètement isolés. Progressant tantôt par bonds, tantôt en rampant, ils sont bientôt submergés. L'ennemi est partout. De Gaulle roule dans un trou d'obus occupé par quelques Allemands. L'un d'eux lui porte un coup de baïonnette. La lame pénètre « au tiers supérieur de la cuisse gauche pour ressortir au tiers moyen de l'autre côté ». Sa troisième blessure depuis le début de la guerre. Il tombe aussitôt évanoui.
Côté français, il est porté disparu. Son colonel le tient pour mort. La citation accompagnant sa proposition pour la Légion d'honneur est rédigée par Pétain : « Le capitaine de Gaulle, commandant de compagnie, réputé pour sa haute valeur intellectuelle et morale, alors que son bataillon subissait un effroyable bombardement, était décimé et que les Allemands atteignaient sa compagnie de tous côtés, a enlevé ses hommes dans un assaut furieux et un corps à corps farouche, seule solution qu'il jugeait compatible avec son sentiment de l'honneur militaire. Est tombé dans la mêlée. Officier hors de pair à tous égard ».
Lorsqu'il revient à lui, de Gaulle, bien vivant, se trouve « au milieu de jeunes troupiers hagards de la garde prussienne ». Il est désormais prisonnier de guerre. Il est d'abord envoyé à l'hôpital de Mayence pour y être soigné. A peine remis, il est transféré à Osnabrück en Westphalie où, dès son arrivée, il imagine descendre le Danube en barque Les Allemands ont vent du projet. Le 14 juin 1916, ils l'expédient au camp de transit de Neisse en Silésie. Puis, deux jours plus tard, à Sczuszyn en Lituanie. Là, il tente à nouveau de s'échapper, mais le trou qu'il a commencé de percer dans le mur de sa chambrée est découvert. Ce qui lui vaut d'être expédié, le 9 octobre 1916, à Ingolstadt en Bavière, où les Allemands avaient imaginé de rassembler dans le même camp toutes les fortes tètes dont l'idée fixe était de leur fausser compagnie ! Ainsi, les officiers français les plus récalcitrants pouvaient-ils mettre en commun leurs expériences. Bref, créer ce que les Allemands eux-mêmes appelleront une « Académie d'évasion ». De Gaulle, comme on va pouvoir en juger, se distinguera particulièrement dans cette entreprise...
Malade imaginaire à l'hôpital d'Ingolstadt
Les défenses naturelles du fort d'Ingolstadt, renforcées par une garde et un régime exceptionnellement sévères, interdisaient toute tentative d'évasion. En revanche, une annexe de l'hôpital militaire de la garnison, situé dans la ville même d'Ingolstadt, à huit kilomètres de là, était affectée aux prisonniers de guerre. Pour surveillée qu'elle fût, elle semblait cependant offrir de plus grandes chances de s'évader. De Gaulle résolut donc de s'y faire envoyer.
Il avait reçu de sa mère un colis de vivres dans lequel avait été glissé un flacon d'acide picrique, officiellement destiné à soigner des engelures. Il en avale sans hésiter le contenu, pourtant fortement toxique ! L'effet recherché est quasi immédiat. Le lendemain, 17 octobre 1916, il présente tous les symptômes de la jaunisse. On l'expédie à l'annexe de l'hôpital.
Mais comment s'échapper? De Gaulle procède discrètement à un examen minutieux des lieux. Il remarque vite que si l'annexe réservée aux prisonniers est sévèrement gardée, l'hôpital ne l'est pas. Et qu'il y a de nombreuses allées et venues de civils rendant visite aux blessés qui y sont soignés. Il constate également que des prisonniers accompagnés par des infirmiers allemands sont régulièrement conduits de l'annexe à l'hôpital pour y recevoir des soins. Les sentinelles, accoutumées à ce va-et-vient, n'y prêtent plus guère attention.
Voilà la faille ! De Gaulle a désormais son plan : se faire conduire à l'hôpital par un camarade déguisé en infirmier, troquer ensuite leurs tenues militaires pour des effets civils, et sortir de l'hôpital en se mêlant aux visiteurs.
Il faut un complice. Ce sera le capitaine Émile Dupret, animé, dira-t-il plus tard, « des mêmes intentions que moi ». Il faut aussi un uniforme allemand...
Corruption et chantage
Deux infirmiers allemands étaient chargés des prisonniers. La fin justifiant les moyens, de Gaulle décide de corrompre le plus accessible des deux. Il commence par lui acheter toute sorte d'objets interdits aux prisonniers : alcool, timbres-poste, etc. [homme se laissant amadouer, de Gaulle lui arrache, toujours moyennant finances, une carte de la région. L'infirmier est désormais à sa merci. Après la corruption, le chantage ! De Gaulle somme en effet le malheureux, sous peine d'être aussitôt dénoncé, et donc d'être traduit à coup sûr en Conseil de guerre, de lui acheter en ville une casquette militaire et de... lui céder son pantalon !
Voilà pour l'uniforme allemand. Mais une fois dans l'enceinte de l'hôpital, il faut pouvoir se transformer en civils...
De Gaulle, toujours à l'affût du moindre indice, avait observé qu'un soldat français, électricien de son état, allait chaque jour de l'annexe à l'hôpital où il travaillait. Interrogé, le soldat lui apprend que les Allemands ont mis à sa disposition, dans la cour de l'hôpital, une cabane qui lui sert d'atelier et dont il est le seul à avoir la clef. Providentiel !
De Gaulle a tôt fait de s'assurer de sa complicité. Au risque des plus sévères sanctions, le courageux soldat va transporter dans l'atelier, pièce par pièce, les effets civils et les vivres que les deux candidats à l'évasion se procurent auprès de leurs compagnons de captivité mis dans la confidence.
le fort IX d'Ingolstadt
Mine patibulaire
Le départ est fixé au dimanche 29 octobre 1916, parce que le dimanche, les allées et venues sont particulièrement nombreuses à l'hôpital. A la nuit tombante, Dupret revêt la casquette et le pantalon allemands et passe une grande blouse d'infirmier. De Gaulle conserve sa tenue réglementaire. Ils franchissent le poste de garde de l'annexe sans éveiller l'attention des sentinelles et pénètrent dans l'enceinte de l'hôpital. Là, munis de la clef du soldat électricien, ils se glissent dans l'atelier. Bientôt habillés en civils, ils se mêlent aux visiteurs et sortent de l'hôpital le plus paisiblement du monde. Les voilà en ville, libres !
Leur projet était de gagner à pied l'enclave suisse de Schaffhouse située à 300 kilomètres, en prenant la précaution de ne marcher que la nuit, demeurant le jour cachés dans les bois. Hélas, il pleut sans discontinuer. Le 5 novembre, vers 21 h 30, ils atteignent Pfaffenhofen, grosse bourgade à une trentaine de kilomètres d'Ulm, ayant parcouru les deux tiers de leur route. Mais c'était un dimanche. Les rues qui auraient dû être désertes sont pleines de monde : «En arrivant sur la place centrale, nous nous trouvâmes au milieu de la jeunesse du bourg qui polissonnait dans la rue. Une semaine de vie sauvage nous avait donné une mine patibulaire qui fut aussitôt remarquée. La foule nous poursuivit, bientôt rejointe par le garde-champêtre à bicyclette et par des gendarmes en permission. Arrêtés, nous fûmes conduits au violon municipal où l'on n'eut pas de peine à découvrir notre identité. » Quelques jours plus tard, ils sont jetés dans les oubliettes du fort IX d'Ingolstadt.
Pour s'être évadés, de Gaulle et Dupret écopent en effet de soixante jours d'arrêts de rigueur : « fenêtres closes par volets métalliques, pas de lumière, régime alimentaire spécial, rien pour lire, ni pour écrire, une demi-heure de promenade par jour dans une cour de cent mètres carrés ».
Ce que de Gaulle ignore en revanche, et que révèlent les archives allemandes récemment découvertes, c'est que son évasion a été à l'origine d'un grave différend entre les médecins de l'hôpital et les autorités du fort, chacun se renvoyant la responsabilité de la fuite des prisonniers, et s'accusant mutuellement de n'avoir pu empêcher qu'ils se procurent des habits civils. La Discorde chez l'ennemi avant l'heure, en quelque sorte !
Vous avez dit « sagesse » ?
Mais le fort d'Ingolstadt n'était vraiment pas propice à l'évasion. De Gaulle se résigne donc à ne rien tenter pendant quelque temps dans l'espoir d'être transféré dans un camp moins sévère. « Stage de sagesse », dira-t-il plus tard. Sage, de Gaulle? En apparence, peut-être, puisque cela fait partie du plan. Mais chaque matin, il dépouille les journaux allemands, cherche dans les bulletins quotidiens de victoire de l'ennemi les traces à peine perceptibles de la discorde – encore ! étudiant les défauts de la cuirasse germanique. Puis il rédige des notes de synthèse, véritables bulletins d'informations qu'il affiche à la porte de sa chambrée !
(...)
A suivre....