Après la première explosion, le Commandant WINTER commande à la barre « toute à gauche »
et aux machines « 90 tours » pour s’écarter du sous-marin qui vient d’attaquer par tribord. La barre n’a pu fonctionner.
La machine bâbord a été mise en arrière à la suite de l’allumage intempestif (par un court-circuit)
de la lampe rouge du « Perruisse » de cette machine, les deux autres machines sont en avant.
Grâce à ce fait, le DUPETIT-THOUARS vient doucement sur la gauche.
Le Commandant PAQUE, arrivé sur la passerelle, donne l’ordre de remettre bâbord en avant
pour ne pas risquer de tomber en travers de la route du convoi et d’être rattrapé trop vite par les navires de commerce.
Après avoir été mis au courant par le mécanicien principal LE GALL sur la passerelle
de la situation provenant de la chute de pression aux machines auxiliaires, le Commandant PAQUE voit qu’il ne dispose
plus de moyens de lutter contre l’envahissement de la mer, il prend judicieusement la décision
d’envoyer le Commandant WINTER présider aux préparatifs d’évacuation sur le pont.
C’est alors qu’il donne l’ordre de stopper les machines, la bande sur tribord du croiseur commence à augmenter.
Plusieurs officiers, gradés et marins, se sont fait remarquer par leur sang-froid, leur courage et leur générosité.
Parmi eux, nous citerons seulement :
- Le Commissaire PETEL descendu à trois reprises dans les entreponts pour sauver les rôles d’équipage,
la caisse, et pour monter sur le pont avec le Docteur PICOT les documents du chiffre
qu’ils étaient chargés de détruire en cas d’accident ;
- Le mécanicien principal BESSON resté isolé de l’extérieur dans la machine centrale
jusqu’au moment où les machines étant stoppées, les manomètres n’accusant plus de pression,
il a jugé le moment venu de faire évacuer son personnel par la manche d’aération des chambres de condensation ;
- Le second-maître mécanicien PAUL dans la machine bâbord ;
- Le quartier-maître chauffeur LEJEUNE contusionné par les effets de la deuxième explosion
et qui s’est sauvé le dernier de la chaufferie 3 ;
- Le capitaine de corvette POCHARD dont la conduite a été digne d’éloges pendant et après l’évacuation,
et qui a conservé jusqu’au dernier moment un armement de 47 mm prêt à ouvrir le feu sur le sous-marin,s’il venait à apparaître ;
- Le matelot sans spécialité ESCANDE du 47 mm bâbord AV envoyé à deux reprises en estafette,
a rallié avec sang-froid sa pièce après avoir exécuté ses deux missions ;
- Le quartier-maître canonnier CORNU qui a pris le malade sur son dos pour l’embarquer par les bossoirs dans la chaloupe.
Après l’évacuation, les officiers et gradés ont soutenu le courage et le moral des hommes restés près de seize heures
en embarcations et radeaux avant d’être recueillis par les destroyers américains.
Comme de nombreux marins et gradés étaient presque nus, plusieurs personnes dont Monsieur le Lieutenant de Vaisseau MASSING
ont donné des effets ou leur veston aux marins transis de froid.
Après avoir appris par Monsieur le Mécanicien en chef LUNEAU et par Monsieur le Lieutenant de Vaisseau BEAUDOUIN
que la tranche cellulaire était envahie par la mer et que l’eau se déversait dans cette tranche
par-dessus les surbaux dans les compartiments indemnes jusque là, le Commandant PAQUE donne l’ordre d’évacuation,
au mégaphone à tribord, puis à bâbord de la passerelle.
Il est certain que la situation du bâtiment était critique et justifiait cet ordre d’évacuation.
La bande était forte. Le croiseur a coulé quelques instants après le départ des derniers hommes et des deux commandants,
un ou deux radeaux se trouvaient encore le long du bord ne réussissant pas à se décoller,
ils ont été entraînés dans le retournement du croiseur.
L’évacuation n’a donc été ordonnée que juste à temps et elle s’est faite avec beaucoup de calme.
Conformément aux instructions du Commandant PAQUE, le Commandant WINTER avait fait mettre la chaloupe
en dehors, puis amener les embarcations au ras de l’eau, les radeaux parés à lancer à la mer.
L’embarquement du personnel n’a commencé qu’à la sonnerie « la retraite » faite de la plage AR
quand le Commandant WINTER a constaté que le croiseur n’a plus d’erre.
Le Commandant PAQUE quitte la passerelle à ce moment avec les officiers qui l’entourent.
Ils vont prendre divers papiers confidentiels, instructions du convoi, qu’il a déposés dans la chambre des cartes
mais, dans l’obscurité, au milieu des meubles démolis, il ne trouve plus rien.
Le Commissaire jette à la mer, sur ordre d’une estafette envoyé de la passerelle,
les documents contenus dans le coffret de la chambre du chiffre.
Le Commandant PAQUE fait le tour du pont pour se rendre compte de l’état d’avancement de l’évacuation,
il fait nuit à ce moment. Arrivé sur la plage AR, il trouve le Commandant WINTER et revient avec lui vers l’AV
en s’arrêtant à tous les panneaux pour répéter l’ordre d’évacuation au mégaphone.
Il n’y a plus personne, il n’entend que le bruit des cascades d’eau dans les entreponts.
Toutes les dépositions d’officiers descendus dans les fonds ou sur le pont principal concordent,
il n’y a plus aucun être vivant dans les fonds ni dans les batteries.
D’ailleurs, sur les treize hommes disparus dans le sinistre, nous savons par la déposition du quartier-maître LEJEUNE
que trois sont morts dans la chaufferie 3, le maître mécanicien QUERE, le chauffeur CHAPALAIN, l’aide de chauffe GRENON.
Sur les dix autres, quatre n’étaient pas de quart et sont montés sur le pont après les explosions,
l’aide fourrier MORISSET a été vu sur le pont quelques minutes avant le torpillage,
les cinq restants ont été vu embarquant sur les radeaux, ils auront coulé quand les radeaux ont été entraînés
dans le chavirement du croiseur.
Le Commandant PAQUE et le Commandant WINTER ne rencontrant plus personne,
le Commandant WINTER s’est mis à la mer, le Commandant PAQUE attendit que la plage AR s’enfonçât dans l’eau
pour rejoindre le Commandant WINTER.
Au moment où ils étaient recueillis par la baleinière 2, le DUPETIT-THOUARS disparaissait,cinquante minutes après le torpillage.
Tout l’équipage fut sauvé, à la fin de l’après-midi du 8 août, par six destroyers américains
qui prodiguèrent aux rescapés les soins les plus touchants.
Vers 22 heures, écrit le Commandant PAQUE, le sous-marin qui avait torpillé le DUPETIT-THOUARS
émergea près des radeaux ; manoeuvrant avec précaution, il vint accoster l’un d’eux, et l’un de ses officiers,
qui parlait fort bien le français, demanda le nom, le tonnage du croiseur, enleva à l’un des hommes son bonnet
pour prendre le ruban.
Les six destroyers américains qui ont sauvé l’équipage du DUPETIT-THOUARS se nommaient :
TUCKER, DRAYTON, WINSLOW, PORTER, WARRINGTON et FANNING.
(source : Livre d'Or de la Marine - guerre 14/18)