Le Pasteur, un rouage essentiel du transport des troupes dans la guerre d’Indochine, 1945-1956
Auteur Michel Bodin (Docteur ès Lettres)
Quand on consulte les souvenirs des combattants du Corps expéditionnaire français d’Indochine, un nom revient fréquemment, celui du transport de troupes : le Pasteur.
Un sous-officier des troupes coloniales, embarqué en 1947, le décrit comme « une véritable tour de Babel ou plutôt
comme une espèce de cour des Miracles ». Un autre parle du « mastodonte qui engloutissait 4 500 hommes vers
des lieux inconnus et incertains ». Sa notoriété parmi les Anciens d’Indochine lui confère une place à part dans la mémoire collective des combattants des TFEO tout autant que ses caractéristiques.
De 1945 à 1956 sur la ligne d’Indochine, il fut un des rouages essentiels des départs vers l’Extrême-Orient et
des rapatriements vers la France ou l’AFN. Pourtant rien lors de son lancement ne prédisposait ce navire à devenir
ce transport de troupes, symbole d’une époque, comme en témoignent les protestations qui, en juillet 1957,
s’élevèrent lorsqu’il fut question de le vendre à une compagnie allemande.
Lorsque, le 15 février 1938, les chantiers de Penhoët (Saint-Nazaire) lancent le Pasteur pour la Compagnie de navigation
sud-atlantique, il s’agissait dans l’esprit de ses propriétaires de la mise à la mer d’un paquebot de luxe capable de rivaliser avec ceux des compagnies anglaises ou américaines.
Véritable vitrine du savoir-faire et d’une qualité à la française, le navire fit l’objet d’une finition attentive pour apporter
le plus de confort possible aux passagers : vastes garde-robes pour les cabines de 1re classe, lambris, vaisselle fine, mobilier de style, installations de loisirs peuvent en témoigner. Tout cet apparat n’eut pas l’occasion de servir car, au lieu de prendre la mer pour l’Amérique latine
avec à son bord une clientèle heureuse et riche, le Pasteur fut dirigé le 25 août 1939 vers Brest.
Réquisitionné du fait de ses capacités (30 477 tonneaux, 26 nœuds), il reçut un armement de guerre :
2 canons de 90 mm et 4 mitrailleuses anti-aériennes.
Le 1er juin 1940, il partit pour le Canada avec dans ses soutes 213 329 kg d’or destinés à acheter des armes.
Il gagna ainsi Halifax puis rejoignit New York où il chargea 95 canons de 75 mm, du matériel d’artillerie, ensuite il se dirigea de nouveau vers Halifax. Là, du fait de la signature de l’armistice par le gouvernement français, il fut confisqué
par les Canadiens au nom du Royaume-Uni. Sa carrière de paquebot de luxe était terminée,commençait alors celle
de transport de troupes.
Réaménagé, doté d’un équipage britannique, le grand navire devint le transporteur de troupes le plus rapide
de la marine anglaise. Il transporta environ 280 000 hommes, avec, en particulier, des voyages entre la Grande-Bretagne et le Québec et des rotations entre l’Afrique du Sud et l’Égypte juste avant la bataille d’El Alamein.
Le gouvernement anglais le restitua à la France le 13 avril 1946 mais ses équipements particuliers conduisirent
les autorités françaises à le conserver comme transport de troupes.
Il participa d’abord aux rapatriements des soldats des troupes coloniales venant de Métropole vers leurs pays,puis à celui des combattants maghrébins et pieds-noirs vers l’AFN, avant d’être affecté à la ligne d’Indochine à la fin de 1945.
Grâce au prolongement fictif de l’état de guerre contre le Japon, le Bureau militaire des transports maritimes et aériens (BMTMA) prit sous son autorité le Pasteur pour acheminer dans les délais les plus courts et aux meilleurs prix les combattants des TFEO.
Le paquebot avait l’avantage d’un coût réduit par passager, d’autant qu’un système de ristourne diminuait
le prix de 10 à 15 % par voyage.
Le certificat de sécurité avait accepté son armement pour 4 888 hommes en incluant l’équipage mais le BMTMA l’affréta dès
1945 pour environ 5 000.
Cependant, en 1948, le commandement n’hésita pas à dépasser ce chiffre :
deux traversées se firent avec 5 173 et 5 201 passagers (équipage compris).
En théorie, 6 ponts étaient attribués aux militaires en fonction de leur grade;ainsi les hommes de troupe et les sous-officiers
se répartissaient les compartiments des ponts A, C, D, E et F. Ceux-ci dormaient dans d’immenses cales qui servaient aussi
de réfectoires, une fois les hamacs pliés ou les matelas déplacés. Certains cantonnements pouvaient recevoir 250 hommes
comme le compartiment E9, d’autres avaient été conçus pour 120 embarqués comme la cale A9.
Les sous-officiers n’avaient pas de meilleures conditions ; ils étaient souvent regroupés dans des dortoirs pour 30 et
les officiers voyageaient dans des cabines plus ou moins vastes (de 2 à 24 places selon les grades).
Les officiers supérieurs étaient 2 par cabine, les capitaines 4 et les lieutenants 9 à 12.Ils avaient droit à des couchettes superposées, alors que la troupe dormait sur des paillasses ou dans des hamacs.
Théoriquement, les voyages étaient strictement réglementés. Les officiers et les personnels féminins bénéficiaient
du régime des 1res classes, c’est-à-dire plus de confort, plus de place et une nourriture améliorée prise dans des salles à manger.
Les voyages s’effectuaient sous le signe de la ségrégation ;on ne mélangeait pas les troupes d’origines différentes.
À cause de ce principe, des unités constituées firent le trajet dans un véritable entassement comme le 8e GESAP qui,
en 1949, gagna l’Indochine dans des conditions détestables car on ne voulait pas mêler des Nord-Africains à des Européens.
Compte tenu des moyens maritimes français, les autorités savaient d’avance qu’elles ne respecteraient pas les règlements ;
aussi avaient-elles prévu des indemnités compensatoires pour tout passager qui ne pouvait jouir du régime correspondant
à son grade. En effet, elles estimaient que le confort du navire et ses performances techniques,en particulier sa vitesse,
rendaient les traversées peu pénibles.
Pour faire face aux besoins du corps expéditionnaire, elles n’hésitaient donc pas à dépasser les capacités du grand paquebot
et donc à outrepasser les normes officielles.
En 1951, un officier voyageant en 2e classe recevait une indemnité compensatoire de 11 000 F ou de 52 000 F
s’il logeait et prenait ses repas en 3e. La troupe vivait en 4e classe ; les sergents et les sergents-chefs en 3e et les adjudants,
adjudants-chefs ou les sergents-majors en seconde.
Parfois des personnels qui normalement devaient partir en cabine,étaient contraints de faire le trajet dans des compartiments
collectifs dans lesquels ils devaient tendre des hamacs.Cette situation, fréquente au début du conflit, perdura jusqu’en 1951.
Au début de la guerre, on n’avait pas prévu de locaux particuliers pour les sous-officiers féminins ;
les PFAT logeaient en dortoirs pour 40, avec interdiction de changer de ponts sauf pour rejoindre les salles à manger.
Selon les cadres qui ont effectué plusieurs voyages sur le Pasteur,il valait mieux dormir dans des hamacs plutôt que
sur une couchette, surtout si les locaux se trouvaient au-dessus des machines.
Le Pasteur a Marseille
Auteur Michel Bodin (Docteur ès Lettres)
Quand on consulte les souvenirs des combattants du Corps expéditionnaire français d’Indochine, un nom revient fréquemment, celui du transport de troupes : le Pasteur.
Un sous-officier des troupes coloniales, embarqué en 1947, le décrit comme « une véritable tour de Babel ou plutôt
comme une espèce de cour des Miracles ». Un autre parle du « mastodonte qui engloutissait 4 500 hommes vers
des lieux inconnus et incertains ». Sa notoriété parmi les Anciens d’Indochine lui confère une place à part dans la mémoire collective des combattants des TFEO tout autant que ses caractéristiques.
De 1945 à 1956 sur la ligne d’Indochine, il fut un des rouages essentiels des départs vers l’Extrême-Orient et
des rapatriements vers la France ou l’AFN. Pourtant rien lors de son lancement ne prédisposait ce navire à devenir
ce transport de troupes, symbole d’une époque, comme en témoignent les protestations qui, en juillet 1957,
s’élevèrent lorsqu’il fut question de le vendre à une compagnie allemande.
Lorsque, le 15 février 1938, les chantiers de Penhoët (Saint-Nazaire) lancent le Pasteur pour la Compagnie de navigation
sud-atlantique, il s’agissait dans l’esprit de ses propriétaires de la mise à la mer d’un paquebot de luxe capable de rivaliser avec ceux des compagnies anglaises ou américaines.
Véritable vitrine du savoir-faire et d’une qualité à la française, le navire fit l’objet d’une finition attentive pour apporter
le plus de confort possible aux passagers : vastes garde-robes pour les cabines de 1re classe, lambris, vaisselle fine, mobilier de style, installations de loisirs peuvent en témoigner. Tout cet apparat n’eut pas l’occasion de servir car, au lieu de prendre la mer pour l’Amérique latine
avec à son bord une clientèle heureuse et riche, le Pasteur fut dirigé le 25 août 1939 vers Brest.
Réquisitionné du fait de ses capacités (30 477 tonneaux, 26 nœuds), il reçut un armement de guerre :
2 canons de 90 mm et 4 mitrailleuses anti-aériennes.
Le 1er juin 1940, il partit pour le Canada avec dans ses soutes 213 329 kg d’or destinés à acheter des armes.
Il gagna ainsi Halifax puis rejoignit New York où il chargea 95 canons de 75 mm, du matériel d’artillerie, ensuite il se dirigea de nouveau vers Halifax. Là, du fait de la signature de l’armistice par le gouvernement français, il fut confisqué
par les Canadiens au nom du Royaume-Uni. Sa carrière de paquebot de luxe était terminée,commençait alors celle
de transport de troupes.
Réaménagé, doté d’un équipage britannique, le grand navire devint le transporteur de troupes le plus rapide
de la marine anglaise. Il transporta environ 280 000 hommes, avec, en particulier, des voyages entre la Grande-Bretagne et le Québec et des rotations entre l’Afrique du Sud et l’Égypte juste avant la bataille d’El Alamein.
Le gouvernement anglais le restitua à la France le 13 avril 1946 mais ses équipements particuliers conduisirent
les autorités françaises à le conserver comme transport de troupes.
Il participa d’abord aux rapatriements des soldats des troupes coloniales venant de Métropole vers leurs pays,puis à celui des combattants maghrébins et pieds-noirs vers l’AFN, avant d’être affecté à la ligne d’Indochine à la fin de 1945.
Grâce au prolongement fictif de l’état de guerre contre le Japon, le Bureau militaire des transports maritimes et aériens (BMTMA) prit sous son autorité le Pasteur pour acheminer dans les délais les plus courts et aux meilleurs prix les combattants des TFEO.
Le paquebot avait l’avantage d’un coût réduit par passager, d’autant qu’un système de ristourne diminuait
le prix de 10 à 15 % par voyage.
Le certificat de sécurité avait accepté son armement pour 4 888 hommes en incluant l’équipage mais le BMTMA l’affréta dès
1945 pour environ 5 000.
Cependant, en 1948, le commandement n’hésita pas à dépasser ce chiffre :
deux traversées se firent avec 5 173 et 5 201 passagers (équipage compris).
En théorie, 6 ponts étaient attribués aux militaires en fonction de leur grade;ainsi les hommes de troupe et les sous-officiers
se répartissaient les compartiments des ponts A, C, D, E et F. Ceux-ci dormaient dans d’immenses cales qui servaient aussi
de réfectoires, une fois les hamacs pliés ou les matelas déplacés. Certains cantonnements pouvaient recevoir 250 hommes
comme le compartiment E9, d’autres avaient été conçus pour 120 embarqués comme la cale A9.
Les sous-officiers n’avaient pas de meilleures conditions ; ils étaient souvent regroupés dans des dortoirs pour 30 et
les officiers voyageaient dans des cabines plus ou moins vastes (de 2 à 24 places selon les grades).
Les officiers supérieurs étaient 2 par cabine, les capitaines 4 et les lieutenants 9 à 12.Ils avaient droit à des couchettes superposées, alors que la troupe dormait sur des paillasses ou dans des hamacs.
Théoriquement, les voyages étaient strictement réglementés. Les officiers et les personnels féminins bénéficiaient
du régime des 1res classes, c’est-à-dire plus de confort, plus de place et une nourriture améliorée prise dans des salles à manger.
Les voyages s’effectuaient sous le signe de la ségrégation ;on ne mélangeait pas les troupes d’origines différentes.
À cause de ce principe, des unités constituées firent le trajet dans un véritable entassement comme le 8e GESAP qui,
en 1949, gagna l’Indochine dans des conditions détestables car on ne voulait pas mêler des Nord-Africains à des Européens.
Compte tenu des moyens maritimes français, les autorités savaient d’avance qu’elles ne respecteraient pas les règlements ;
aussi avaient-elles prévu des indemnités compensatoires pour tout passager qui ne pouvait jouir du régime correspondant
à son grade. En effet, elles estimaient que le confort du navire et ses performances techniques,en particulier sa vitesse,
rendaient les traversées peu pénibles.
Pour faire face aux besoins du corps expéditionnaire, elles n’hésitaient donc pas à dépasser les capacités du grand paquebot
et donc à outrepasser les normes officielles.
En 1951, un officier voyageant en 2e classe recevait une indemnité compensatoire de 11 000 F ou de 52 000 F
s’il logeait et prenait ses repas en 3e. La troupe vivait en 4e classe ; les sergents et les sergents-chefs en 3e et les adjudants,
adjudants-chefs ou les sergents-majors en seconde.
Parfois des personnels qui normalement devaient partir en cabine,étaient contraints de faire le trajet dans des compartiments
collectifs dans lesquels ils devaient tendre des hamacs.Cette situation, fréquente au début du conflit, perdura jusqu’en 1951.
Au début de la guerre, on n’avait pas prévu de locaux particuliers pour les sous-officiers féminins ;
les PFAT logeaient en dortoirs pour 40, avec interdiction de changer de ponts sauf pour rejoindre les salles à manger.
Selon les cadres qui ont effectué plusieurs voyages sur le Pasteur,il valait mieux dormir dans des hamacs plutôt que
sur une couchette, surtout si les locaux se trouvaient au-dessus des machines.
Le Pasteur a Marseille